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DISCOURS DE RÉCEPTION

gination et de sensibilité qu’il lui fallait endormir. Il n’eût pas pratiqué cette absolue soumission à l’objet, qui le guérit comme elle avait guéri son ami. Il l’a reconnu plus tard à maintes reprises : « Que de fois j’ai béni l’affaiblissement de ma vue, qui, me conduisant chez Secrétan, m’arrêta sur le Pont-Neuf et fut la cause d’un travail où j’ai trouvé des jouissances infinies ! J’ai été stupéfait du bien-être que je ressentis lorsque, au lieu des conceptions nuageuses des vers et du roman, je saisis quelque chose de résistant sur quoi je pouvais m’appuyer. » Et il ajoute, prouvant, par la profondeur de cette formule, à quel point il avait analysé et jugé l’histoire de son propre esprit : « J’ai été discipliné par la vérité à mon insu, et j’y ai été ramené sans même m’en apercevoir. »

C’est en 1862 qu’il entreprit son ouvrage. Le premier chapitre, celui sur les Postes, commença de paraître dans la Revue des Deux-Mondes en 1867. L’écrivain n’a pas cessé d’y travailler depuis lors, car les quatre volumes qu’il a consacrés à la Commune, puis les deux qu’il a composés sur la Charité ne sont que des prolongements du premier ouvrage. Il a eu soin, lui-même, de l’indiquer par les titres : « Les Convulsions de Paris. — Paris bienfaisant. — La Charité privée à Paris. » Vous le voyez, Messieurs, c’est toujours Paris, toujours le vaste et composite organisme de la cité monstre qu’il étudie, ici dans une de ses plus lamentables attaques de fièvre, là dans ses plus nobles efforts d’hygiène morale et de réparation. Pour qui voudra comprendre la vie française de notre âge, ces trois