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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE

rément, violemment hostile. L’auteur de Salammbô nourrissait, en dépit de sa large culture, la plus singulière des erreurs latines. Il croyait à une hiérarchie des genres, conception analogue, dans l’ordre littéraire, à cette hiérarchie administrative, héritée de l’Empire romain. Tout en haut il plaçait les genres imaginatifs et créateurs, les autres en bas, très bas : « Descends au plus profond de Paris, » dit-il à M. Maxime Du Camp, « étudie-le dans ses parties les plus secrètes, et puis écris un roman dans lequel tu condenseras les observations que tu auras recueillies. Démonter Paris pour en décrire le fonctionnement, c’est faire œuvre de mécanicien. Démonter Paris pour en transporter le mouvement mathématique dans un roman, c’est faire œuvre d’écrivain… » Quand même Flaubert aurait eu raison en principe, il avait tort dans l’application. La valeur d’une œuvre ne se mesure pas à son résultat visible. Elle n’est pas un concours à une espèce d’examen idéal, institué devant le tribunal des siècles. Elle est d’abord, elle est surtout un outil de perfectionnement pour notre intelligence. De même que lui, Flaubert, à l’époque de Madame Bovary, avait eu besoin de prendre un sujet bourgeois et terre à terre pour s’opérer du lyrisme, M. Maxime Du Camp, encore malade du mal romantique à quarante ans, avait besoin de se contraindre à la stricte, à l’implacable discipline du fait. Eût-il essayé d’animer en décors et en personnages romanesques la vaste enquête où il s’engageait, cette enquête ne lui eût jamais apporté le bienfait intérieur qu’il en recueillit. Il eût de nouveau avivé en lui-même les puissances d’ima-