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DISCOURS DE RÉCEPTION

toute chose humaine. Son intelligence, lassée de tant d’efforts infructueux, était en quête d’une besogne où s’employer, en montrant enfin toute sa force. Il se prit soudain, lui, le voyageur d’Orient, le pèlerin des muettes solitudes où le sable est fait de la poussière des morts, à songer qu’un jour aussi cette ville dont il entendait l’énorme halètement, mourrait comme sont mortes tant de capitales de tant d’Empires. L’idée lui vint de l’intérêt prodigieux que nous présenterait aujourd’hui un tableau exact et complet d’une Athènes au temps de Périclès, d’une Carthage au temps des Barca, d’une Alexandrie au temps des Ptolémées, d’une Rome au temps des Césars. Il réfléchit qu’un tel tableau serait aussi une gigantesque leçon de choses offerte aux contemporains, l’occasion d’amender des centaines de détails encore imparfaits. Par une de ces intuitions fulgurantes où un magnifique sujet de travail surgit devant notre esprit, il aperçut nettement la possibilité d’écrire sur Paris ce livre que les historiens de l’antiquité n’ont pas écrit sur leurs villes. Il regarda de nouveau le spectacle du pont, de la Seine et du quai. La profonde unité vivante de ces activités si diverses saisit en lui l’artiste. C’en était fait. L’œuvre de son âge mûr venait de lui apparaître. Il allait étudier pièce par pièce, rouage par rouage, Paris, ses organes, ses fonctions, sa vie. Pour un écrivain qui n’avait jusqu’alors composé que des poèmes, des romans, des essais d’art, des récits de voyages, une telle entreprise offrait d’immenses obstacles. Les premières difficultés lui vinrent des camarades auxquels il confia son dessein. Flaubert surtout y fut délibé-