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DISCOURS DE RÉCEPTION

tion intellectuelle d’individualités étrangères à la sienne. C’était aussi lui indiquer une voie où n’être plus seul, où marcher avec un des courants de l’époque, car en l’invitant à l’observation exacte, il l’invitait à prendre part à la vaste enquête scientifique instituée alors de toute part. Madame Bovary, par l’exactitude précise de la notation, par la peinture scrupuleuse des milieux, par le souci de la psychologie moyenne, représente un effort, analogue, dans l’ordre du roman, à celui de Taine en critique, de Renan en exégèse, de Leconte de Lisle en poésie, à la révolution qu’accomplissait au théâtre M. Alexandre Dumas fils, le maître toujours jeune, toujours acclamé, qui représente seul aujourd’hui parmi vous cette puissante génération. Ce roman est un chapitre de l’histoire des mœurs, — rédigé dans une prose qui, des formules de 1830, garde uniquement le relief et le coloris. Le module de la médaille est frappé. Tel sera désormais le travail de Flaubert. Tel sera le procédé d’art qui nous a valu ses chefs-d’œuvre, tel aussi son enseignement qui nous vaudra un Maître, car c’est l’école où se formera cet autre romancier qui serait des vôtres aujourd’hui, Messieurs, si la plus cruelle des destinées ne l’avait arrêté en plein essor : le grand et malheureux Maupassant.

Ce conseil si fécond, si simple, d’accepter la réalité dans l’art et dans la vie, et de s’y soumettre, M. Maxime Du Camp ne devait se l’appliquer à lui-même qu’après avoir traversé dix autres années d’une inquiétude pire que celle dont j’ai essayé de marquer les causes. Quand