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DISCOURS DE RÉCEPTION

que les heures d’exaltation sont rares et qu’il faut les mériter, mériter d’aimer, mériter de sentir ; j’allais dire, mériter de souffrir, s’il est vrai que la souffrance soit la grande épreuve et la grande noblesse humaine.

Je viens, Messieurs, de vous résumer d’un mot tout le drame moral de la jeunesse de M. Maxime Du Camp. Il crut à vingt ans qu’il lui suffisait d’entrer dans le monde pour y moissonner des émotions pareilles à celles dont les livres de ses aînés l’avaient enchanté, et il se heurta brusquement à cette société française du milieu du siècle, la plus prudente mais la moins enthousiaste, la plus sage mais aussi la moins imaginative de notre histoire. C’était l’époque où la bourgeoisie industrielle et parlementaire installait chez nous un régime dont le positivisme arrachait à Lamartine son cri fameux : La France s’ennuie. Ce cri n’était pas très équitable, car ce régime avait aussi sa poésie. Les hommes de notre race ont dans leurs veines un sang trop ardent, trop généreux, trop militaire, pour n’avoir pas toujours quelque part un coin d’héroïsme et d’aventure où répandre ce sang. Alors comme aujourd’hui, ce coin d’héroïsme était situé là-bas, dans cette brûlante et ténébreuse terre d’Afrique où nos soldats réalisaient, vivaient cette épopée algérienne dont vous avez parmi vous l’un des plus glorieux témoins. Mais l’Afrique était loin, la poésie que représentait le service de cette dure conquête, était de la poésie austère, de la poésie disciplinée, et les jeunes romantiques, comme le Maxime Du Camp de ces années-là, étaient, avant tout, des indisciplinés et des indépendants. Celui-ci ne voulut