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priété à Marielle : « De cette manière, nous a-t-il dit, je serai chez-vous, et non vous chez moi. »

— N’est-ce pas que c’est très délicat ce qu’a fait M. Jambeau, tante Solange ? s’écria Marielle. Et, quand ce ne serait qu’une hutte que sa maison, nous irons y demeurer, Jean et moi !

— Je l’ai vue, moi, la maison de M. Jambeau, dit Mlle Solange, qui paraissait avoir une furieuse envie de rire, ce qui peina beaucoup Marielle.

— Sans doute, tante Solange, riposta Marielle, très mécontente assurément, la maison de M. Jambeau n’est pas un palais rempli de domestiques, comme la vôtre ; mais nous nous en contenterons !… Viens-tu, Jean ?

— Ne sois pas fâchée, Marielle ! dit Mlle Solange. Que veux-tu, ma chère enfant ; quelque chose m’amuse beaucoup…

— C’est évident tante Solange ? dit Marielle, très froissée.

— Dans tous les cas, Marielle, ma nièce, et Jean, mon neveu, si vous ne vous plaisez pas dans la maison que vous allez habiter, revenez ici ; toujours vous serez les très bienvenus !

Marielle et Jean revinrent à leur hôtel dans la voiture privée de leur tante Solange ; une splendide barouche, attelée de deux chevaux vigoureux.

Cinq heures sonnaient, le lendemain après-midi, quand M. Jambeau vint chercher Marielle et Jean. Ce bon M. Jambeau ! Comme il était heureux d’offrir à ce jeune couple qu’il aimait, l’hospitalité sous son toit !

— Marielle, dit-il, votre tante Solange m’a dit que vous aviez refusé d’habiter sa maison princière pour venir demeurer avec moi… Chère enfant ! J’espère que vous ne le regretterez jamais… De fait, je ferai tout en mon pouvoir pour que vous soyez heureux avec moi, vous et Jean.

Une voiture louée attendait à la porte de l’hôtel, et Marielle ne put s’empêcher de faire la comparaison entre cette voiture et la luxueuse barouche de sa tante Solange ; mais bientôt, elle se dit :

— Jean se fera une bonne position, aussitôt qu’il sera reçu Architecte, et alors, nous achèterons, nous aussi, une belle voiture… Ce bon M. Jambeau ! Combien j’aimerais le voir assis dans une splendide barouche comme celle de tante Solange, lui qui peut à peine marcher, à cause de ses rhumatismes !… Mais… j’y pense !… J’ai sur moi, le chèque de tante Solange pour dix mille dollars, qu’elle m’a donné, hier soir… Peut-être pourrions-nous acheter une voiture et des chevaux, tout de suite… Quel bonheur de faire une si agréable surprise à M. Jambeau !… J’en parlerai à Jean…

— La maison est dans une des banlieues de la ville, dit M. Jambeau ; mais nous y arriverons bientôt… Ah ! j’ai affaire ici ! ajouta-t-il, en désignant une sorte de château, près duquel la voiture venait de s’arrêter, et à laquelle on parvenait par un vaste jardin, un véritable parc. Jean, donnez-moi donc l’aide de votre bras ; Marielle, je serais bien content de m’appuyer sur votre épaule aussi.

— Certainement, M. Jambeau ! répondirent, en même temps, Marielle et Jean.

On descendit de voiture, et arrivé à la porte de la maison, construite en pierre de taille et ornementée de portiques et galeries en fer forgé (quelqu’édifice public, pensa Jean) M. Jambeau sonna, et un domestique en livrée vint ouvrir. Sans proférer une parole, M. Jambeau, toujours soutenu par Marielle et Jean, suivit un autre domestique, qui ouvrit la porte d’une pièce immense et somptueusement meublée, où plusieurs personnes étaient rassemblées.

Mais… Voilà Max qui s’avance au-devant des nouveaux venus… Max, vêtu comme un petit prince… Il se jette au cou de Jean, puis au cou de Marielle, en s’écriant :

— Oh mon oncle Jean ! Oh ! ma tante Marielle !

Ce n’est pas tout ; voilà Ylonka et Maurice, qui, eux aussi, s’avancent à la rencontre de Marielle et de Jean… Et puis, on aperçoit aussi Mlle Solange, M. et Mme Dupas. M. et Mme Brassard et… Mais : oui voilà aussi Lillian Rust (pardon, Lillian Le Noir) et son mari… là-bas… n’est-ce pas M. Leroy, père, et plus loin, n’est-ce pas aussi le Capitaine Brunel ?…

— Marielle ! Chère Marielle ! dit Ylonka.

Alors, M. Jambeau prend Marielle dans ses bras et lui dit :

— Soyez la bienvenue, enfant chérie ! Vous êtes ici chez-vous !

— Je ne comprends pas… murmura Marielle.

— Chère Marielle, dit Ylonka, quand, pour la première fois, sur le Rocher aux Oiseaux, j’aperçus M. Jambeau, je l’ai reconnu immédiatement ; mais, voyant qu’il désirait garder l’incognito, je n’ai pas soufflé mot de ce que je savais sur son compte, à qui que ce fut… excepté à Maurice… comme de raison… M. Jambeau est…

— J’espère que tu ne m’en veux plus, Marielle, dit Mlle Solange, en s’approchant, d’avoir tant ri, quand tu m’as dit que tu demeurerais avec M. Jambeau, quand ce serait dans une hutte ?… Ha ! ha ! ha ! Je savais, vois-tu… Je savais que le M. Jambeau qui, sur le Rocher aux Oiseaux, habitait la « Villa Bianca », avec un seul domestique, était M. Magloire Jambeau, le millionnaire.


CHAPITRE XXIV

CEUX QUE NOUS AVONS AIMÉS


Franchissons un espace de douze années et jetons un dernier coup d’œil sur ceux que nous avons connus et aimés.

Nous les retrouverons tous. Il est vrai que M. Jambeau est bien vieux, il est vrai que Mlle Solange, elle aussi, est bien vieille ; mais ils sont là tous deux, entourés d’affections et de dévouement, s’acheminant tout doucement vers la tombe, sans crainte aucune, car ils savent bien que des mains aimées leur fermeront les yeux.

Marielle se dit la femme la plus heureuse de la terre. Elle est mère de deux beaux enfants, un garçon et une fille, qu’elle et Jean croient tout simplement parfaits.

L’aîné des enfants de Marielle et de Jean est un garçon qui, maintenant a dix ans. C’est Pierre Dupas et sa femme qui ont été parrain et marraine du premier-né de Marielle, qui, au baptême, a reçu le nom de Guy. Mme Dupas ne pouvait croire à son bonheur quand Marielle lui avait demandé d’être la marraine de son enfant, et quand la jeune mère insista pour