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M. Maurice ! s’écria la jeune fille. Quelle joie et quelle surprise de vous voir !… Et Max ! ajouta-t-elle, en pressant l’enfant contre son cœur. Cher cher petit ! Qui eut crut te voir ici, dans le Sinistre Ravin ! Beau Léo, dit-elle ensuite, en faisant une caresse au chien, qui gambadait auprès d’elle en aboyant joyeusement.

La personne voilée de blanc vint alors se joindre au groupe formé par Marielle, Jean, Maurice et Max. Léo en la voyant approcher, se jeta dans les jambes de son maître, car le chien craignait fort le Spectre du ravin, on le sait.

Arrivé tout près de nos amis, le Spectre leva son voile, et aussitôt, un cri s’échappa des lèvres de Maurice ;

— Ylonka !… Ô ciel, c’est Ylonka !

— Comment vous portez-vous, M. Leroy ? demanda, en souriant, Ylonka, car c’était bien elle.

— Ylonka ! Ylonka ! C’est tout ce que pouvait dire Maurice, tant sa surprise et sa joie étaient grandes.

— Ylonka, dit alors Marielle, je vous présente M. Bahr. Voici aussi Max, dont je vous ai parlé souvent. Jean, la voilà cette chère Ylonka dont je vous ai plus d’une fois entretenu.

— Quel bonheur de faire votre connaissance enfin, Mlle Desormes ! dit Jean. Ah ! Maurice, ajouta-t-il, en s’adressant à son ami, quand vous m’avez accompagné dans cette excursion à la recherche de ma Marielle chérie, vous étiez loin de vous douter de l’immense bonheur qui vous attendait, n’est-ce pas ?… Mlle Ylonka, reprit-il, M. Leroy est le meilleur ami qu’il y ait au monde… il possède aussi le cœur le plus fidèle qui soit… Il n’a jamais quitté cette île, après qu’il eut appris votre histoire ; il disait que vous ne vous étiez pas noyée dans le Golfe Saint-Laurent, et il refusait de partir du Rocher aux Oiseaux, près duquel vous aviez disparu… Aujourd’hui, il m’a accompagné, quand je me suis lancé dans le souterrain, à la recherche de ma bien-aimée… Qu’il était loin de se douter que son dévouement aurait une si belle récompense !

— Merci, M. Maurice, de votre constance… dont Marielle m’a plus d’une fois entretenue, d’ailleurs, dit gravement Ylonka.

— Ylonka ! Ylonka ! murmura Maurice.

— Maintenant, Messieurs, reprit Ylonka, je vous invite à venir vous reposer et vous restaurer chez moi. Veuillez me suivre !

On marcha quelque distance, puis Ylonka se mit à gravir le rocher, au moyen de marches naturelles qu’il y avait dans le roc, Marielle, Jean, Maurice et Max la suivant. Léo, que le Spectre n’effrayait plus, suivait, sur les talons de son maître.

On pénétra dans une vaste grotte. Dans un coin était un poêle. Ce poêle, muni d’un tuyau, jetait une bonne chaleur dans la grotte. On aperçut des meubles très rudimentaires : un banc, une table, qu’Ylonka avait confectionnée elle-même.

— Soyez les bienvenus, Messieurs ! dit Ylonka. Voici la demeure où j’ai vécu depuis près de six ans.

— Ylonka, racontez donc votre histoire à Jean et à M. Maurice, dit Marielle.

— Avec plaisir, répondit Ylonka. Je vais vous raconter, le plus brièvement possible, ce qui s’est passé, depuis le jour où Marielle m’a vue m’enfonçant dans les eaux du Golfe Saint-Laurent… Pendant ce temps, Marielle va vous servir des rafraîchissements.

Alors, Ylonka raconta ce qui suit :

— Quand je me suis jetée dans le golfe, alors que j’étais poursuivie par M. Mâlo, je n’avais pas l’intention de m’ôter la vie ; je nage comme un poisson, voyez-vous ! Nageant entre deux eaux, et ne revenant à la surface que pour respirer, j’attendis… et quand ne me parvinrent plus les sanglots de Marielle, les appels de M. Dupas et le langage… poétique de M. Mâlo, je m’engageai dans le Sinistre Ravin…

« Je veux vous épargner les détails, Messieurs : je vous dirai seulement que, le lendemain, je découvris cette grotte et m’y installai. À la faveur de la nuit précédente, j’étais allée au « Gîte », et j’en avais rapporté des provisions, telles que conserves, biscuits, thé, café, sucre etc., etc. J’en rapportai aussi un marteau et des clous, ainsi qu’une petite scie, et je confectionnai, avec des planches que je trouvai dans le Sinistre Ravin, et qui devaient provenir de quelque naufrage, la porte de cette grotte et ces meubles. Le poêle, que je trouvai dans le hangar du « Gîte », je le transportai ici, avec beaucoup de misère, quoiqu’il soit tout petit.

« Un jour, une chaloupe dériva jusqu’à l’entrée du ravin et je m’en emparai ; alors, sous un déguisement, je pus me rendre jusqu’à l’île du Prince-Édouard, une nuit, et de là, j’allai à Québec, me mettre en communication avec mon notaire, lui faisant jurer, cependant, de ne pas dévoiler ma retraite, car je craignais M. Mâlo, et je voulais qu’il me crût morte.

« Ce n’est que quand je fus installée ici depuis au-delà de six mois que je découvris le souterrain conduisant au « Gîte » et au « Manoir-Roux ». Combien de fois je suis allée au « Gîte » par ce chemin ! Combien de nuits froides j’ai passées couchée dans la salle du « Gîte » ou bien dans le salon du « Manoir-Roux » ! Une fois, j’effrayai M. Dupas, en apparaissant soudainement au « Gîte », au milieu de la nuit, Une autre fois, j’effrayai M. Bahr… Je le regrettai infiniment, vous n’en doutez pas…

« Je savais qu’on me nommait le Spectre du Ravin ; mais, comme cette superstition me protégeait, en quelque sorte, j’affectai de me revêtir de blanc et de me voiler le visage, en cas de surprise…

« Quelques semaines avant l’accusation et l’arrestation de Marielle, continua Ylonka, j’appris, tandis que j’étais à Québec, la nouvelle du décès de M. Mâlo… Je résolus donc de revenir au Rocher aux Oiseaux et de tout raconter à Marielle et à son père, car tous deux avaient été si bons pour moi ! Étant obligée de rester à Québec pour le règlement de certaines affaires, cependant, ce n’est que la veille de l’arrestation de votre chère fiancée, M. Bahr, que j’arrivai sur le Rocher…

« Le lendemain, vers les trois heures de l’après-midi, je partis pour le « Manoir-Roux », non pas par le souterrain, cette fois, mais par la grande route… Or, je fus bien étonnée de ne rencontrer âme qui vive sur tout le parcours de l’île… En arrivant à quelque distance de la demeure de M. Dupas, cependant, j’aperçus plusieurs personnes qui entraient dans la maison… J’arrivai au « Manoir-Roux », à mon tour et je frappai à la porte ; mais on ne répondit