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et sur les coudes, ou bien s’y faufiler, en s’éraillant les côtés. Ce boyau semblait interminable, et les trois excursionnistes eurent beaucoup à souffrir.

— Si nous sortons vivants de ce souterrain, se disait Maurice, personne n’ajoutera foi à nos paroles quand nous raconterons ce que nous avons vu… ce que nous avons enduré surtout… Ce boyau est interminable, de plus, il va en serpentant, ce qui rend notre rampage plus difficile encore… Je me demande si nous en avons pour longtemps…

On allait si lentement, qu’on dut mettre trois bons quarts d’heure à franchir le boyau qui, Jean calculait ainsi, du moins, devait avoir près d’un demi mille de long.

Enfin, la voûte commençait à s’élever un peu, et bientôt nos explorateurs se trouvèrent dans une grande chambre contenant, elle aussi, des colonnes. Heureux de pouvoir « marcher debout » comme disait Maurice, ils allaient d’un bon pas, quand la voix de Jean se fit entendre soudain :

— Écoutez !

Un bruit singulier parvenait à leurs oreilles, comme celui que ferait une chute d’eau.

— Marchons avec grande précaution, recommanda Jean. Halte ! cria-t-il aussitôt. Voici un précipice, un vrai, celui-là !

Un précipice en effet, un affreux précipice, au fond duquel grondait un torrent. Jean essaya d’en sonder la profondeur, mais il ne le put. Il prit alors un grand morceau de papier, qui avait servi à envelopper les provisions de leur panier ; dans ce papier il mit une pierre, puis ayant tourné le papier plusieurs fois autour de la pierre, il l’alluma et le jeta dans le précipice… Oui, c’était un gouffre, un gouffre qui paraissait sans fond, au bord duquel ils étaient arrivés ; un gouffre qui semblait devoir les arrêter…

Jean, ayant roulé un bout de papier en forme de torche, se mit à examiner les alentours, puis il dit :

— Ce n’est qu’une crevasse ; il faut la franchir… Cette crevasse n’a que huit pieds de largeur ; nous la franchirons avec des câbles.

À une des colonnes, Jean attacha solidement l’une des extrémités du câble qu’il avait porté autour de sa ceinture, ensuite, il fit un nœud coulant qu’il lança de l’autre côté de la crevasse, ayant soin, cependant, de garder l’autre extrémité du câble dans sa main gauche. Le câble, ainsi qu’un cerceau, enfila un tronçon de pierre, de l’autre côté de la crevasse ; le pont était fait.

— Leroy, passez le premier, dit Jean. Max passera ensuite, puis ce sera à mon tour. Allons !

— Et Léo, mon oncle Jean ?… Comment va-t-il pouvoir traverser ? demanda Max. Est-ce qu’il pourra marcher sur le câble ?

— Tiens, c’est vrai ! s’écria Jean. Il va falloir attacher Léo par la taille avec le câble, puis tirer dessus. Heureusement, je passerai le dernier ; sans cela, Léo se jetterait dans le gouffre pour me suivre.

Maurice se suspendit au câble et arriva de l’autre côté de la crevasse en sûreté. Puis ce fut le tour de Max. Mais l’enfant se cramponna à Jean et se mit à pleurer.

— J’ai peur, mon oncle Jean ! J’ai bien peur ! disait-il.

C’était effrayant aussi de traverser ce terrible gouffre qui ne devait pas avoir moins de cinquante pieds de profondeur, sur un simple câble !

— Sois un homme, Max ! implora Jean. Vois, M. Leroy t’attend de l’autre côté ; il te saisira par les bras, avant que tu aies le temps d’y penser. Va, mon petit !

— Viens, Max ! dit Maurice. Ne crains rien !

L’enfant tremblait de peur et, pour la première fois depuis qu’ils avaient entrepris cette exploration, Jean se dit qu’il avait eu tort d’emmener cet enfant de onze ans, presque un bébé.

Rassemblant tout son courage, Max se suspendit au câble, à son tour et il arriva, sans accident, de l’autre côté.

Jean s’empara ensuite de Léo, afin de lui faire passer le précipice. Le chien se débattait furieusement, croyant probablement, la pauvre bête, qu’on allait le jeter dans ce trou noir et profond, au fond duquel le torrent faisait un bruit d’enfer. Mais jean jeta à Maurice l’extrémité du câble qu’il avait attaché autour de Léo, puis il laissa doucement tomber le chien. Maurice tirant de toutes ses forces, parvint à ramener sur le rocher le pauvre animal, qui se mit à lui lécher les mains, en signe de reconnaissance.


CHAPITRE XX

LE BOYAU SANS FIN


Quand Jean Bahr eut franchi la crevasse, à son tour, on partit. Mais bientôt, on arriva à un autre boyau, qu’on enfila. On rampait dans le boyau depuis une dizaine de minutes quand Max dit :

— Mon oncle Jean, je suis bien fatigué !

— Fatigué, pauvre petit ? demanda Jean. Eh ! bien, retournons-nous sur le dos et reposons-nous un peu. Qu’en pensez-vous, Maurice ?

Tandis qu’ils reposaient, Maurice faisait d’assez tristes réflexions : il se disait qu’ils avaient fait une grande sottise de s’aventurer ainsi, et il se demandait s’ils sortiraient jamais de ce souterrain. Jean, lui aussi, faisait des réflexions, car soudain, il dit :

— Maurice, je crois que nous aurions dû prendre l’autre chemin ; je veux dire le boyau de gauche plutôt que celui de droite… Marielle n’eut pu cheminer par cette route, ni franchir le gouffre… Nous nous sommes trompés, Leroy !

— J’en suis sûr, Bahr, répondit Maurice ; mais, pour le moment, nous ne pouvons retourner sur nos pas… Comment ramper dans ce boyau à reculons ?…

— Ce serait impossible ! dit Jean.

— Oui, impossible ! répéta Maurice. Le boyau ne fait que serpenter et, ce que nous pouvons faire la tête la première, nous ne pourrions le faire les pieds les premiers…

— Ce boyau aura une fin, dit Jean ; quand nous l’aurons franchi, nous déciderons ce qu’il faudra faire.

— En attendant, il faut aller de l’avant ! ajouta Maurice.

— Si tu te sens un peu reposé, Max, nous allons continuer notre route.