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le mystérieux monsieur de l’aigle

vais tourner la tête d’Albinos du côté d’où il vient et peut-être… Qui sait ?

— Essayons toujours, dit-elle. Ô mon Dieu ! M. de L’Aigle ! S’il a été victime de quelqu’accident, Séverin, je… je…

— Allons ! Allons ! Ne pleure pas ainsi ! Sois un homme, Théo ! fit Séverin. Tiens ! reprit-il. Voilà le cheval dans sa bonne direction ; nous allons le suivre… Il va nous conduire à son maître, j’en jurerais.

Albinos marchait lentement, comme s’il eut compris que des êtres humains le suivaient, et qu’il devait régler son pas sur le leur. De temps à autre, il tournait la tête du côté de Magdalena, ou de Séverin ; on eut dit qu’il comprenait ce qu’on attendait de lui. Alors, nos amis encourageaient le cheval de la voix ou par une caresse.

Le Roc de l’Ancien Testament venait d’être dépassé… Ils marchaient depuis longtemps leur semblait-il ; Magdalena se dit que le cheval retournait à son écurie, tout simplement.

— De ce train, nous finirons par arriver à L’Aire, Séverin, fit-elle soudain. Je crains bien que nous ne puissions pas nous fier à l’instinct d’Albinos… qui n’est qu’un cheval, après tout.

Comme pour donner le démenti à ce qu’elle venait de dire, Albinos s’arrêta et, la tête tournée vers la gauche de la route, il hennit plaintivement. Nos amis embrassèrent, d’un coup d’œil, les environs ; ils virent les rochers abruptes et glissants… puis, au pied de l’un de ces rochers… un objet confus.

M. de L’Aigle ! C’est lui ! cria Magdalena, en désignant l’objet au pied du rocher.

— Je le crois, répondit Séverin.

Tous deux se précipitèrent vers le rocher… Ils ne s’étaient pas trompés ; là gisait Claude de L’Aigle, baignant dans son sang.

— Il est mort ! sanglota Magdalena. Ô ciel ! Il est mort M. de L’Aigle !

— Il vit, Théo ! répondit Séverin, lorsqu’il eut posé sa main sur le cœur du blessé. Mais il faut le transporter à La Hutte sans perdre un instant.

— Il est tombé de cheval et…

— Non, il n’est pas tombé de son cheval ; il a dû plutôt escalader ce rocher, qui doit être glissant comme une glace et…

— Comment le transporterons-nous à la maison ? Il faut nous hâter ! Il baigne dans son sang. Mon Dieu ! Mon Dieu !

— Aurais-tu peur de monter à cheval, mon garçon ?

— Non, Séverin. Vous voulez dire Albinos ?

— Oui. Monte sur Albinos et rends-toi à La Hutte. Dis à M. Lassève d’atteler Rex au sleigh et de venir ici immédiatement. Il ne pourra pas manquer de me voir. Va, Théo.

Zenon, les bras chargés de bois de chauffage, se dirigeait vers la maison, lorsqu’il aperçut Magdalena montée sur Albinos, qu’il reconnut immédiatement. Il comprit vite qu’il devait y avoir eu un accident. Jetant sa brassée de bois sur le sol, il accourut au-devant de la jeune fille.

— Théo ! s’écria-t-il. Il est arrivé quelque chose… à M. de L’Aigle ?

— Oh ! Mon oncle ! Mon oncle ! sanglota Magdalena tout en sautant par terre. Il est arrivé un terrible accident à M. de L’Aigle ! Séverin et moi nous l’avons trouvé, baignant dans son sang… Il a dû tomber d’un rocher… Vite, mon oncle ! Attelez Rex au sleigh et allez à son secours ! C’est passé le Roc de l’Ancien Testament. Séverin vous attend.

Sans perdre de temps à poser d’inutiles questions, Zenon fit ce qu’on lui demandait de faire et bientôt, le sleigh se dirigeait vers le lieu de l’accident, tandis qu’Albinos était installé provisoirement, dans la remise.

Occupée à préparer pour le blessé, le lit de Zenon (ce lit, on s’en souvient, était tout près de la porte d’entrée) Magdalena entendit un bruit de grelots et au bout de quelques instants, Zenon et Séverin entrèrent dans la maison, portant entr’eux Claude de L’Aigle toujours évanoui.

— Théo, dit Zenon, pendant que nous allons mettre M. de L’Aigle au lit et l’installer le plus confortablement possible, tu vas aller au village chercher le médecin. Dis-lui seulement que nous avons trouvé, au pied d’un rocher, un homme blessé. Va, mon garçon ! Le sleigh est à la porte et je n’ai pas dételé Rex, inutile de te le dire.

Heureusement, le médecin était chez lui et Magdalena put le ramener avec elle, après lui avoir expliqué l’accident qui était arrivé.

— Il a une blessure profonde à la tête, dit-elle, et comme son bras gauche était replié sous lui lorsque nous l’avons trouvé, nous craignons fort qu’il ait le bras cassé.

Voici quel fut le verdict du médecin : congestion cérébrale, causée par une grave blessure à la tête ; de plus fracture du bras gauche. Ça serait long. Le malade resterait inconscient pendant plusieurs jours ; il aurait des crises de délire, des accès de fièvre intense et son état exigeait des soins constants.

À peine le médecin fut-il parti, qu’Eusèbe arriva à La Hutte. Son maître était allé faire une petite promenade à cheval et il n’était pas revenu. Lui, Eusèbe, et tout le personnel de L’Aire avaient été presque fous d’inquiétude. Mais enfin, il avait retrouvé M. Claude.

Le domestique avait fait tout le trajet, de L’Aire à La Hutte, à pieds mais il retourna à cheval sur Albinos. Une chose le consolait dans le malheur qui venait d’arriver : M. Claude était entre bonnes mains, Dieu merci !

XIX

CE QUI DEVAIT ARRIVER

Claude de L’Aigle fut malade trois semaines, et ces trois semaines, Magdalena se dit qu’elle ne les oublierait jamais de sa vie. Par quelles angoisses elle avait passé !

La blessure que Claude s’était fait à la tête avait failli lui jouer un mauvais tour. Il avait été presque continuellement inconscient Il avait eu de terribles crises de délire. Sa température avait atteint 104 degrés. Tout cela, c’était horrible, pour celle qui l’aimait si éperdument ; ç’avait été vraiment intolérable.

Mais depuis trois ou quatre jours seulement,