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le mystérieux monsieur de l’aigle

tout à l’heure, c’était probablement parce qu’elle était recouverte d’une couverture… Oui, Magdalena se rappela avoir eu le frisson ; elle se rappela aussi s’être dit que ce terrible frisson ce devait être la mort… On avait probablement jeté sur elle, alors, tout ce qu’on avait trouvé, pouvant la réchauffer…

Eh ! bien, il ne s’agissait que de soulever ces couvertures !… Ses bras… Elle parvint, quoiqu’à grand’peine, à les remuer, puis à les lever un peu…

Par un suprême effort, elle souleva ce qui l’empêchait de voir… de respirer aussi…

Ce qui la recouvrait venait d’être soulevé ; mais les forces lui manquant, Magdalena laissa retomber la couverture qui, en tombant, produit un son mat.

Cependant, dans l’espace d’un éclair, elle avait pu voir un peu ce qui l’entourait… Sur une petite table, elle avait aperçu un Crucifix, de chaque côté duquel était un cierge allumé… et c’est tout…

Elle sentit qu’elle suffoquait… Il lui faudrait assez de force pour se débarrasser tout à fait de ce qui la recouvrait, et gênait, de plus en plus, sa respiration…

La malade réunit toutes ses forces, qu’elle employa ensuite à soulever l’obstacle qui l’empêchait de voir et de respirer à l’aise… Il est bien vrai de dire qu’avec de la patience et de la persévérance on vient à bout de tout ; Magdalena entendit un léger craquement, suivi du bruit d’un objet pesant tombant sur le plancher…

Elle voyait ! Elle respirait !

En un clin d’œil, elle fut assise… Mais, aussitôt, un cri d’indicible terreur s’échappa de sa poitrine, puis elle retomba, évanouie…

Horreur ! ! !… Elle était couchée dans un cercueil !

II

L’BOSCOT

Lorsque Martin Corbot obtint la charge de maître de poste du village de G…, tous avaient trouvé que ce n’était que juste ; même ceux qui avaient ambitionné la position, trouvaient bien le choix du Gouvernement.

— Il fallait toujours que quelqu’un eut cet emploi ! avait dit un homme de G…, un soir, alors que plusieurs habitants du village étaient réunis chez Jacques Lemil, propriétaire du plus grand magasin général de la place.

— Oui, avait répliqué un autre, car ce pauvre Corbot ! Il ne peut pas faire toutes sortes d’ouvrages.

— C’est vrai ! répliqua-t-on. Ça ne pourrait travailler fort des deux bras, comme nous, c’boscot.

— Mais ça travaille de la langue, par exemple ! avait répondu le « père Zénon », qui était présent.

Tous rirent.

— Quant à cela, c’est la vérité vraie ce que dit le « père Zénon ! fit Jacques Lemil. Pour avoir la langue mal pendue, l’boscot a mérité qu’on lui décerne la palme !

— Tu l’as dit, Lemil ! s’écria l’un des hommes présents. Ça ne lui prend pas de temps, au boscot, pour faire des choux et des raves, de la réputation des plus honnêtes gens du village et des environs. C’est méchant c’ga’s-là !

— C’est méchant et c’est bête ! s’écria quelqu’un.

— L’boscot est un homme dangereux, intervint gravement le « père Zénon ». On dirait qu’il s’en prend à l’univers entier de ce qu’il est difforme, ma foi !

— Cependant, peut-être que d’avoir obtenu la charge de maître de poste, cela lui donnera moins de temps pour s’occuper de ce qui bout dans les marmites de ses voisins, ajouta Jacques Lemil. Espérons-le !

— Oui, espérons-le ! s’écrièrent-ils tous.

Par la conversation ci-haut, on comprendra que Martin Corbot, dit l’boscot, n’était pas un homme très aimable et qu’il ne jouissait pas d’une grande popularité. Comme venait de le dire le « père Zénon », ce bossu semblait blâmer l’univers entier de ce qu’il était difforme et laid… laid, à faire peur.

Tout d’abord, Martin Corbot était très petit de taille ; c’était à peine s’il mesurait quatre pieds. Ses jambes grêles, terminées par des pieds énormes ; ses longs bras, aux mains de géant ; son corps frêle comme celui d’un enfant ; ses épaules très-hautes, surmontées d’une bosse ; sa tête, grosse trois fois comme une tête ordinaire ; ses cheveux noirs et huileux ; son visage, dans lequel étaient des yeux noirs, très noirs grands et perçants, (les uns disaient méchants) sa bouche, qui faisait penser à une caverne, et dont les lèvres, presque bleues, semblaient toujours prêtes à cracher l’injure, faisaient du boscot l’être le plus repoussant de la terre. Martin Corbot n’était pas seulement difforme ; il boitait de la jambe gauche.

Pauvre diable ! On eut pris pitié de lui, bien sûr, s’il n’eut été si méchant, car il n’est personne au monde qui ne soit porté à plaindre celui ou celle qui est infirme. Mais, l’boscot abusait de son infirmité ; éclaboussant d’injures, souvent, des hommes de taille à le pulvériser, en un tour de main ; maltraitant les enfants, surtout ceux qui osaient lui faire l’injure de l’appeler « l’boscot ». Martin Corbot insultait, aussi, les femmes les plus honnêtes, les plus respectables, par des insinuations bêtes sur leur compte, ou sur le compte de leurs maris. On prétendait que le bossu était responsable de bien des brouilles dans les ménages, de séparations même, entre les époux qui avaient paru les plus unis. Mais, que lui importait ?… Il en avait vu bien d’autres, l’boscot !

Personne ne savait, au juste, d’où venait l’boscot. Les vieux de l’endroit racontaient que, il y avait trente ans, la vieille Prudence, la diseuse d’horoscope de G…, que tous nommaient « la sorcière », était revenue au village, un soir, après en avoir été absente pendant plusieurs semaines, en tenant par la main un enfant de dix ans, un vrai monstre de laideur.

À ceux qui avaient demandé à « la sorcière » d’où venait cet enfant, elle avait répondu :

— C’est l’enfant d’une de mes amies, qui vient de mourir. Le petit se nomme Martin