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le mystérieux monsieur de l’aigle

ce pas, Théo ? répondit Zenon en riant. Mme Fabien t’a fait là un cadeau que tu apprécies fort, je sais, ajouta-t-il, en désignant le centre de table.

— Rien au monde n’ait pu me faire plus plaisir, je vous l’assure !

Le lendemain et les jours suivants, Magdalena fut fort occupée avec ses fleurs, dont elle ne perdit pas une seule. À part cela, elle était aussi à faire des « formes » de croix, de couronnes et d’ancres. Ces formes, préparées à l’avance ainsi, lui permettrait de remplir les commandes plus vite, lorsqu’elle en recevrait, ce qui ne saurait manquer.

Séverin, lorsqu’il avait remis à « Théo, le fleuriste », les vingt dollars qui lui revenaient prix de l’ouvrage fait pour l’entrepreneur de la Rivière-du-Loup, lui avait dit :

— Tiens, Théo, voici l’argent qui te revient. J’en ai donné un reçu à l’entrepreneur et il m’a demandé si tu serais disposé à prendre d’autres commandes, un peu plus tard.

— Et qu’avez-vous répondu, Séverin ?

— J’ai répondu que j’étais l’agent de « Théo, le fleuriste » et que je pouvais lui assurer (à l’entrepreneur, s’entend) que ses commandes seraient remplies du moment qu’il t’accorderait le temps nécessaire pour un travail aussi délicat.

— Vous avez bien fait, Séverin, et je me tiendrai prêt en conséquence.

Elle avait voulu remettre à Zenon les vingt dollars qu’elle avait gagnés, mais il avait refusé de les prendre.

— Pas la miette, mon garçon, pas la miette ! avait-il répondu. Cet argent est à toi ; garde-le. On ne sait jamais quand tu pourrais en avoir besoin.

Le temps passe vite quand on est occupé, et un jour, Magdalena constata que le mois d’octobre achevait. Le temps était au beau fixe, quoique froid.

Un après-midi, elle alla faire une promenade à pied, accompagnée du fidèle Froufrou. En passant près de l’aile, à laquelle son père adoptif et Séverin étaient à travailler, elle voulut s’approcher, pour leur parler.

— N’approche pas de trop près, Théo ! s’écria Zenon, moitié riant. Tu as promis, tu sais, de ne pas essayer de voir l’intérieur de mon atelier, avant que ce soit complètement fini.

— C’est vrai, mon oncle, répondit-elle, en souriant. Mais, est-ce que vous l’achevez votre construction ?

— Oui, mon garçon. Nous espérons y mettre la dernière main ce soir, demain, le plus tard… J’aurai quelque chose à te proposer au sujet de cette aile, Théo.

— Je prêterai une oreille attentive à votre proposition, je vous le promets et, inutile de vous dire qu’elle est adoptée d’avance, qu’elle qu’elle soit. En attendant, au revoir, mon oncle ! Au revoir, Séverin ! Je m’en vais faire une petite promenade avec Froufrou.

— C’est un beau temps pour marcher, dit Séverin.

— Merci, Théo ; mais ça dépendra de… de l’atelier… Si nous le terminons ce soir, il est plus que probable que je retourne à Saint-André, quitte à revenir demain. Je te reverrai à ton retour, d’ailleurs.

Les deux hommes, occupés à travailler, ne s’aperçurent pas du chemin qu’avait pris Magdalena. Mais soudain, Séverin, ayant levé la tête, s’écria :

M. Lassève, voyez donc où Théo est rendu !

Zenon leva la tête, à son tour. Il ne fut pas très surpris de voir la jeune fille debout sur le Roc de L’ancien Testament ; il ne fut pas étonné non plus de la voir leur tourner le dos et regarder fixement dans la direction du Roc du Nouveau Testament, c’est-à-dire, de L’aire… La demeure de M. de L’Aigle… Et Magdalena la pauvre enfant… Malgré lui, il soupira et Séverin l’entendit.

— Théo regarde du côté de la demeure de M. de L’Aigle, Séverin, annonça-t-il, d’un ton un peu froid.

— Ne l’aimez-vous pas ce M. de L’Aigle ? demanda Séverin.

— Mais, oui ! C’est un charmant type. Il a été parfait pour nous, et je l’estime beaucoup.

— Ah !… Je pensais… murmura tout bas Séverin.

Enfin, Magdalena quitta le rocher et s’en vint vers La Hutte ; les deux hommes l’y attendaient. Zenon, sans en avoir l’air, l’observa, du coin de l’œil, et il crut qu’elle avait pleuré, ce qui eut pour effet de l’attrister.

— Théo, annonça-t-il pourtant, l’atelier est terminé. Il ne reste plus que quelques petits détails ; mais ça ne presse pas, pour le moment.

— Vous avez dû beaucoup travailler, tous deux, vous et Séverin, mon oncle, répondit la jeune fille, pour terminer cette construction si vite ; mais vous devez être contents que ce soit fini.

— Nous n’en sommes pas fâchés, pour te dire le vrai !… Et maintenant, voici ce que j’avais à te proposer : faisons l’inauguration de l’atelier, demain soir.

— Et comment nous y prendrons-nous ? demanda-t-elle gravement.

— D’abord, nous aurons un souper « à tout casser », à six heures juste, puis…

— Un souper ?… Je pourrais faire un bon pâté au poulet, mon oncle ; nous avons du poulet en boîtes et…

— Humm ! fit Séverin, en humectant ses lèvres avec sa langue. Que ça va être bon ! J’en ai déjà mangé de tes pâtés au poulet, tu sais, Théo, et vrai, ça avait goût de revenez-y ! Je suis invité, pour l’inauguration, et, je t’en avertis, je ne manquerai pas d’y être.

— Je ne doute pas que vous soyez invité, Séverin, et vous avez bien gagné de l’être aussi ! Si mon oncle a un bel atelier aujourd’hui, c’est grâce, un peu, beaucoup, à l’aide que vous lui avez donné, j’en suis sûre.

— C’est entendu, alors, hein, Théo ? demanda Zenon.

— Certainement, mon oncle !

— Fort bien !… À six heures moins le quart, demain soir, tu nous joueras quelque chose de gai, sur le piano, comme manière d’introduction, ou d’ouverture, puis nous ouvrirons la porte de l’atelier, afin de te procurer l’occasion d’admirer notre ouvrage, ou plutôt, notre chef-