Page:Bourgeois - Le mystérieux Monsieur de l'Aigle, 1928.djvu/42

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
le mystérieux monsieur de l’aigle

voulons pas que notre chaloupe nous entraîne avec elle. Suspends-toi à mon cou Magdalena, et ne crains rien !

— Où êtes-vous ? fit une voix soudain.

— Ici ! Ici ! Au secours !

Une chaloupe, conduite par un homme recouvert d’un imperméable et coiffé d’un large chapeau en toile cirée, venait d’apparaître ; elle touchait bientôt à La Mouette ; celle-ci venait de faire quelques soubresauts d’agonie ; elle allait s’enfoncer sous les flots.

— Sautez ! fit l’homme ! Hâtez-vous !

Ils ne se firent pas prier.

— Saute, Théo ! cria Zenon.

En un bond, Magdalena fut rendue à bord de la chaloupe de sauvetage.

— Sautez, mon oncle ! cria-t-elle ensuite.

Bientôt, tous deux, même Froufrou, qui avait cessé de hurler, était en sûreté dans la chaloupe.

Quand à La Mouette, après avoir roulé sur elle-même deux ou trois fois, elle s’enfonça dans l’eau…

— Notre pauvre chaloupe, ne put s’empêcher de dire Zenon.

— Elle nous a rendu bien des services, mon oncle !

— Eusèbe, cria leur sauveteur, dans son porte-voix.

— Oui ! Oui ! Monsieur, répondit un autre porte-voix.

— Hale ! Et dépêche-toi !

Alors Zenon s’aperçut que la chaloupe était liée, à quelque rivage probablement au moyen d’un câble. Le sauveteur ramait vite, tandis que le câble halait de son mieux. Sage précaution que ce câble, sans lequel leur sauveteur aurait pu, lui-même, s’égarer, avec eux, dans la brume.

Enfin, nos amis purent distinguer la charpente d’un yacht, auquel ils accostèrent bientôt. Les yachts n’étaient pas rares, en ces régions, l’été, vu que les touristes se rendaient assez nombreux passer la belle saison à Notre-Dame du Portage.

Leur sauveteur monta dans le yacht, puis il tendit la main à Magdalena d’abord, à Zenon ensuite. Froufrou n’attendit pas d’invitation ; aussitôt que ses maîtres eussent été rendus à bord, il y sauta, à son tour.

C’était un véritable bijou que le yacht dans lequel Zenon Lassève et Magdalena venaient de monter. Ses cuivres polis et brillants comme de l’or ; ses banquettes, couvertes de coussins en velours gros bleu ; ses boiseries émaillées de blanc, puis une table servie, couverte de porcelaines, de verre taillé et d’argenteries de grande valeur ; tout dénotait le luxe et disait hautement que le propriétaire du yacht était l’un des favorisés de ce monde.

Zenon avait remarqué, à l’avant du yacht, un aigle doré, aux ailes largement tendues, puis, le nom du yacht à l’arrière, peint en grosses lettres bleues : L’Aiglon.

— Vous le voyez, dit, en souriant, le propriétaire du yacht, en s’adressant aux naufragés et en désignant la table mise, je vous attendais pour souper.

Ce disant, il enleva son chapeau et son imperméable, qu’il remit à Eusèbe, et Magdalena fut fort étonnée de se trouver en face d’un jeune homme de haute stature, aux cheveux blonds, aux yeux bleus foncés et à la moustache couleur d’épis murs.

— Monsieur, dit Zenon, en tendant la main à leur sauveteur, vous nous avez sauvé la vie. Sans vous… Comment vous remercier ? ajouta-t-il.

— Je suis heureux que nous nous soyons trouvé là, à point, Eusèbe, mon domestique, et moi, croyez-le ! répondit le jeune homme.

— Vous aussi, peut-être, vous vous êtes égaré dans la brume ? demanda Zenon.

— Pas tout à fait, répondit, en souriant, le propriétaire du yacht. Nous avons aperçu la brume à temps et nous avons pu accoster ici.

— Où sommes-nous donc, à ce moment ?

— Nous sommes à l’Île aux Lièvres, vis-à-vis le Portage.

— L’Île aux Lièvres ? s’écria Zenon Oh ! heureusement que nous ne nous sommes pas adonnés à passer de l’autre côté de cette île, qui paraît être si étroite ; si cela était arrivé, nous étions perdus.

— Tout est bien qui finit bien, répliqua, en riant, le jeune homme. Il me fait plaisir de vous offrir l’hospitalité sur L’Aiglon. Demain, aussitôt que la brume sera dissipée, nous verrons ce que nous pourrons faire pour renflouer votre chaloupe.

— Sera-ce possible, pensez-vous ? demanda Zenon.

— Je l’espère.

— Je vous avouerai que c’est une grande perte pour nous que celle de notre chaloupe. Monsieur, et…

— Nous ferons de notre mieux, dans tous les cas. En attendant, veuillez me suivre, Monsieur…

— Je vais me présenter moi-même, Monsieur, dit Zenon, en souriant : je suis pêcheur et batelier, et je me nomme Zenon Lassève. Voici mon neveu Théo, ajouta-t-il, en désignant Magdalena ; lui aussi est pêcheur et batelier.

— Je suis heureux de faire votre connaissance, M. Lassève ainsi que celle de Théo, votre neveu, répondit le jeune homme, en tendant la main à nos deux amis.

— Nous demeurons à la Pointe Saint-André, reprit Zenon.

— Moi aussi, je demeure à la pointe Saint-André, dit le propriétaire de L’Aiglon.

— À la pointe ? Vraiment ?

Magdalena et son père adoptif échangèrent un regard ; ce jeune home était à n’en pas douter « l’hermite » du « château mystérieux ».

— Puisque nous habitons le même endroit, M. Lassève, reprit le jeune homme, nous sommes voisins.

— Je suis bien aise de l’apprendre, répondit Zenon.

— Je possède, à la Pointe Saint André, un petit domaine, que j’ai nommé L’Aire

L’Aire ?… répétèrent Zenon et Magdalena.

— Quel nom singulier, pour un domaine ! fit la jeune fille.

Le jeune homme sourit.

L’Aire… vous trouvez ce nom singulier, mon petit ami ? demanda-t-il ?