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le mystérieux monsieur de l’aigle

Le télégramme étant resté sans réponse, l’avocat écrivit à Mme Richepin. Dans une lettre, c’était plus facile d’entrer dans les détails, d’expliquer les circonstances. Hector Servant dit à la marraine d’Arcade dans quelle affreuse position se trouvait son filleul, et il la priait de répondre à la présente lettre immédiatement, par dépêche télégraphique.

Cette lettre resta, elle aussi, sans réponse. Alors, Hector Servant partit pour la Nouvelle Orléans.

— Je rapporterai une déclaration de Mme Richepin, signée devant témoins, dit-il à Arcade. Ainsi, mon ami, patience et courage ! Encore quelques jours, et vos épreuves seront finies !

— Je ne comprends rien au silence de Mme Richepin, répondit Arcade. Elle doit être absente de chez elle, ou bien elle est malade…

— Patience, mon ami ! répéta l’avocat. Vous pensez bien que je ne m’attarderai pas en route ; le temps d’aller et de revenir seulement. À bientôt donc, et, encore une fois, patience et courage !

— Puissiez-vous réussir dans votre mission, M. Servant ! fit Arcade d’une voix tremblante. Mon Dieu ! Que vais-je devenir ?

— Essayez d’avoir confiance en moi, mon ami, répondit l’avocat.

— Confiance ?… Oui, j’ai confiance en vous, assurément, M. Servant ! Mais je ne puis me faire illusion, n’est-ce pas ; je suis dans une terrible position…

— Vous êtes innocent du crime dont on vous accuse ; je le prouverai et vous sauverai !

— Dieu vous entende !

Que le temps parut long au prisonnier, jusqu’au retour de son avocat ! Ah ! Combien il lui tardait de reprendre sa place parmi les honnêtes gens ! De revoir sa petite Magdalena ! De vivre, enfin ! Car, ce n’était pas vivre que d’être enfermé dans une cellule, en contact journalier avec le crime et le vice, dans toute son horreur !

Enfin, un soir, la porte de sa cellule s’ouvrit, pour livrer passage à Hector Servant.

— M. Servant ! cria Arcade, accourant au-devant de son visiteur.

— Mon pauvre Carlin ! répondit l’avocat. Pas de chance, hélas !

Arcade sentit qu’il allait s’évanouir.

— Pas de chance, dites-vous, M. Servant ? questionna-t-il. Qu’y a-t-il donc ?… N’avez-vous pas vu Mme Richepin ?… Ou bien, aurait-elle refusé de signer une déclaration ?… Elle est très-originale, ma marraine ; mais je ne crois pas qu’elle oserait pousser l’originalité jusque là ! En face de l’accusation qui pèse sur moi…

L’avocat leva la main, comme pour imposer silence au prisonnier.

— Écoutez, Carlin ! Je vous ai dit que nous n’avions pas de chance… Nous sommes aux prises avec un horrible guignon plutôt… et c’est… c’est tout simplement,.. tragique…

— Je… Je ne comprends pas… murmura Arcade. N’avez-vous pas vu Mme Richepin, M. Servant ?

— Non, mon ami, je ne l’ai pas vue, répondit tristement l’avocat. Le malheur a voulu que le jour même de mon arrivée à la Nouvelle-Orléans…

— Eh ! bien ?…

— Le jour de mon arrivée, dis-je, avaient eu lieu les funérailles de Mme Richepin…

— Morte ? cria Arcade. Morte ? Et sans avoir pu me justifier ! ! Ô mon Dieu ! sanglota-t-il, puis il tomba, presqu’évanoui, sur son grabat.

— Morte, oui, morte ! Elle est tombée malade, il y a à peu près trois semaines, au moment où elle se préparait à aller rendre visite à l’un des neveux de son mari ; une attaque de paralysie, paraît-il, et elle n’a pas, un seul instant, récouvré sa connaissance.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! sanglota Arcade.

— J’ai trouvé le télégramme que j’avais adressé à votre marraine, ainsi que ma lettre ; ni l’un ni l’autre n’avait été ouvert même. J’ai obtenu la permission de faire des recherches parmi les papiers de Mme Richepin ; j’espérais, voyez-vous, mon ami, trouver la lettre que vous aviez écrite à votre marraine, pour lui demander de l’argent, ainsi que le portrait de votre petite… Je n’ai rien trouvé.

— Mais… N’est-ce pas étrange que ma lettre et le portrait de Magdalena aient disparu ainsi ?

— Les domestiques, que j’ai questionnés, m’ont dit que Mme Richepin détruisait sa correspondance, aussitôt après en avoir pris connaissance, dit l’avocat.

— Le portrait cependant…

— Quant au portrait, la seule explication qui soit possible, c’est que Mme Richepin, craignant de se laisser attendrir par la vue de cette photographie, et d’être tentée, conséquemment, de léguer quelque chose à votre petite, à sa mort, a préféré détruire ce qui pouvait la rappeler à son souvenir… Hélas, Carlin, je sais que vous êtes innocent ; mais je crains fort ne pouvoir vous sauver, faute de preuves.

— Que Dieu ait pitié de moi… et de ma pauvre Magdalena ! s’écria Arcade, au comble du désespoir.

Pourtant, Hector Servant avait à cœur d’essayer de sauver son client ; conséquemment, quelques jours après son retour de la Nouvelle Orléans, il entra au bureau de poste de G…, accompagné d’un détective ; ce dernier, muni d’un mandat de perquisition. Il était dix heures du soir.

— Je viens faire une perquisition dans votre maison, M. Corbot, dit le détective au bossu.

— Une perquisition ! Chez moi ! Mais, pourquoi ? s’était écrié l’boscot, en pâlissant.

Nous cherchons ces trois mille dollars qui ont été volés à Baptiste Dubien, répondit Hector Servant.

— Chez moi ! s’exclama le bossu.

— Nous avons le droit de les chercher là où bon nous semble, fit l’avocat.

— Ces trois mille dollars… vous croyez les trouver dans ma maison ?…

— Je crois… Non, je suis certain d’une chose, M. Corbot, c’est que vous avez toujours haï M. Carlin, et que vous n’êtes pas un type pour hésiter à faire… quoi que ce soit, pour assouvir votre haine, dit l’avocat.