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le mystérieux monsieur de l’aigle

À son arrivée, Magdalena accourut au-devant de lui et lui donna un baiser.

— Petit père ! Cher petit père ! s’écria-t-elle.

— Magdalena ! Ma toute chérie ! répondit-il, en pressant la petite dans ses bras.

— Le souper sera prêt dans un tout petit quart d’heure, père, dit Magdalena. Avez-vous bien bien faim ?

— Mais non ! Prends le temps qu’il faut, chère petite.

Tandis que sa fille continuait à préparer le repas du soir, Arcade, d’une main qui tremblait légèrement, ouvrit l’enveloppe contenant la lettre de sa marraine. Il vit un papier très épais, qu’il s’empressa de déplier. Aussitôt, une exclamation de surprise et de joie s’échappa de sa poitrine ; trois billets de banque américains, de mille dollars chacun, venaient de tomber sur ses genoux !

« Mon filleul, écrivait Mme Richepin,

Parce que tu es dans un grand embarras, je te viens en aide ; ci-joint, trois billets de banque américains, de mille dollars chacun. Mais, que ce soit entendu, c’est le dernier argent que tu reçois de moi. Si jamais tu t’es fait illusion ; si jamais tu t’es imaginé, même un instant, que je te léguerais quelque chose, à ma mort, détrompe-toi, mon filleul !

Si je suis riche aujourd’hui, c’est grâce à mon défunt mari, et il n’est que juste que les biens qu’il m’a laissés retournent à ses neveux et nièces, un jour,… qui n’est pas éloigné maintenant, car, tu le sais peut-être, j’ai quatre-vingts ans passés.

Tâche donc de tirer le plus grand profit possible des $3, 000.00 que je t’envoie ; car, je le répète, c’est le dernier argent que tu recevras de ta marraine,

ANGÈLE S. RICHEPIN

P. S. Je n’ai pas fait enregistrer ma lettre, parce qu’il y a trop de voleurs de lettres enregistrées, depuis quelque temps. Je suis fermement convaincue que l’argent ci-joint court moins de risque d’être volé, en te l’envoyant dans une lettre qui passera presqu’inaperçue.

S’il vous plait accuser réception des $3, 000.00 immédiatement.

A. S. R. »

Trois mille dollars !.. Ce n’était pas croyable !… Cette somme dépassait toutes les espérances, tous les rêves d’Arcade Carlin.

Cet argent serait déposé à la banque sans retard, après qu’il eut payé ses dettes, c’est-à-dire son compte chez Vaillant, l’épicier. Ce compte se montait à soixante dollars, et combien de nuits Arcade avait passées, sans sommeil, à se demander comment il parviendrait à acquitter cette dette.

Ensuite, il y avait différentes choses à acheter pour Magdalena, la pauvre petite. Samedi, c’est-à-dire le surlendemain, il emmènerait l’enfant avec lui, à la ville, et il lui achèterait un manteau bien chaud, garni de fourrure. Il lui achèterait deux robes, oui, deux : une pour la semaine, l’autre pour les dimanches. Il lui faudrait un chapeau aussi à Magdalena, deux peut-être. Non, un suffirait ; mais, par exemple, il lui achèterait deux paires de chaussures ; l’une, solide et forte, pour aller à l’école ; l’autre, plus fine, pour les dimanches.

À lui aussi, Arcade, il faudrait bien un pardessus, entendu que celui qu’il possédait était tellement usé que le vent passait à travers… Cependant il verrait ! Ses dettes d’abord ; du linge pour Magdalena ensuite. Quant à lui eh ! bien, cela dépendrait de ce que ça coûterait pour habiller convenablement la petite. Le reste des $3000.00 serait déposé à la banque, pas plus tard que samedi.

— Le souper est prêt, père.

C’était la voix de Magdalena.

S’étant approché de la table, Arcade jeta un coup d’œil sur sa fille, et il constata une chose ; c’était qu’elle venait de pleurer. Il prit l’enfant sur ses genoux et lui demanda :

— Tu viens de pleurer, Magdalena ? Qu’y a-t-il ?

— Rien, père, rien, répondit-elle en éclatant en sanglots.

— On ne pleure pas sans raison, chérie. Dis-moi pourquoi tu pleures ? Quelqu’un t’a-t-il fait de la peine, Magdalena ?

— C’est… C’est à l’école… Les élèves de ma classe… elles m’appellent… « Haillon »… parce que… parce que je suis si… si pauvrement habillée…

— Pauvre petite ! Pauvre chère Magdalena ! murmura Arcade, en pressant l’enfant contre son cœur. Mais écoute, chérie, reprit-il, bientôt, pas plus tard que dimanche, tu seras la mieux mise des enfants du village. Comprends-tu, Magdalena ? Samedi, c’est-à-dire après demain, nous irons à la ville, tous deux, et je t’acheterai un beau manteau garni de fourrure, deux jolis robes, de bonnes chaussures et un beau chapeau.

— Oh ! fit la petite, en battant des mains.

— Tu verras ! Tu verras, ma chérie ! reprit Arcade. On ne te lancera plus d’épithètes, après dimanche.

— Mais fit Magdalene, le visage assombri soudain, cela va coûter de l’argent, beaucoup d’argent, toutes ces belles choses, n’est-ce pas, père ?

— Sans doute, répondit Arcade, en souriant tristement. N’était-ce pas pathétique d’entendre une enfant de onze ans parler ainsi. Pauvre petite ! Elle avait été tellement habituée à l’économie aussi ! Oui, ça va coûter de l’argent toutes ces choses, mon enfant, reprit-il, mais nous en aurons à dépenser, à gogo, si nous le désirons ; ainsi, ne t’inquiète pas à ce sujet, petite.

Magdalena ouvrit de grands yeux étonnés.

— Et je serai aussi bien habillée que Lucille Lemil, petit père ? demanda-t-elle.

— Mieux, beaucoup mieux, assura Arcade. Et tiens, pendant que j’y pense, cours donc chez Vaillant, l’épicier, et achète un bocal de pêches confites, pour le souper ; cela nous fera un bon régal. Voici de l’argent pour payer les pêches.

— Des pêches ! Oh ! des pêches confites pour le souper ! s’écria l’enfant.

— Et dis à M. Vaillant que je lui donnerai les soixante dollars que je lui dois, au com-