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renoncé à leurs habitudes de luxe, sacrifié leurs études et leur avenir, impatients d’instruire le peuple et de se dévouer à sou émancipation. Revêtus d’habits grossiers, la besace au dos, ces missionnaires, supportant toutes les privations, exposés chaque jour au danger d’être dénoncés et poursuivis, parcouraient à pied les régions de l’Oural, du Don, du Volga, se fixaient dans les villages en qualité de forgerons, de sages-femmes, d’instituteurs. Tourguénef, dans Terres vierges, a évoqué les étranges figures de ces enthousiastes pleins d’illusions. Le prince Kropotkine, le célèbre anarchiste, imagine que Tolstoï, s’il eût été plus jeune, eût imité leur exemple.

Aux approches de la cinquantaine, il ne savait plus que faire, que devenir. Toutes les conditions de bonheur étaient réunies à son foyer, sa renommée ne cessait de grandir, et jamais il ne s’était senti si malheureux. « Vous posséderez seize mille acres dans le gouvernement de Samara, trois cents chevaux, et après ? Vous serez ipius fameux que Pouchkine ou Shakespeare, à quoi cela mène-t-il ? » Cet état de dépression coïncidait avec des crises de dyspepsie, mais Tolstoï était toujours vigoureux, capable de tenir tête à des fauclieurs huit heures de suite- U chassait, mais il ne pouvait se livrer à aucun travail intellectuel, ni même écrire une lettre. Trois solutions seulement s’offraient : l’indifférence, l’épicurisme ou le suicide. Les nerfs trop tendus, des com-