Page:Bouillet - Atlas universel, 1865.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ÉLÉMENTS

DE

L’ART HÉRALDIQUE.


__________________________________________


BLASON.


Origine du blason. Si le blason n’est qu’un objet de curiosité pour les esprits superficiels, il a une utilité incontestable, une importance réelle, il devient une source d’ingénieux rapprochements, pour ceux qui, après en avoir étudié les principes, les appliquent à la connaissance de l’histoire. Le blason s’appuyant sur les monuments des arts, sur les chartes et les diplômes, appelant à son aide la paléographie, la sigillographie, la numismatique, cesse d’être un hochet de vanité pour entrer dans le domaine de l’érudition, et sert à expliquer les mœurs et usages du moyen âge, les habitudes de la vie féodale, les lois qui régissaient les guerres et les tournois. Ainsi considéré, il devient un chapitre important de l’archéologie. Ces figures, inintelligibles pour le vulgaire, ont pour l’initié leur signification, leur raison d’être. Comme la féodalité, le blason ne s’est pas borné à un pays ; il s’est développé avec elle ; l’Allemagne, la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, l’Orient même, l’ont adopté.

Les anciens ornaient leurs boucliers, casques et enseignes de figures symboliques, telles que lions, léopards, griffons, oiseaux, poissons, etc. ; maison ne doit pas rechercher dans ces emblèmes des premiers temps les origines du blason, et conclure avec nos anciens héraldistes que les Hébreux, les Grecs, les Romains, les Germains avaient des armoiries. Si de tout temps on a vu des figures sur les boucliers et les enseignes de guerre, c’est que les emblèmes sont de toutes les époques. Mais ces figures de fantaisie ne servaient que bien rarement à distinguer les familles et jamais à en indiquer la noblesse, ce qui est, comme on le sait, le caractère essentiel des armoiries, qui sont des marques héréditaires d’extraction et de dignités. Certains signes, certains emblèmes anciens sont venus prendre leur place dans l’art héraldique, mais là se bornent les emprunts faits par le moyen âge aux siècles antérieurs.

On a cherché, et non sans raison, à identifier le blason avec la féodalité ; et cette identification montre toute la difficulté de fixer d’une manière précise l’époque à laquelle le blason commença à être en usage. Comme pour la société féodale, on peut en constater les développements et arriver à une période où il est créé, mais son origine restera peut-être toujours dans l’obscurité.

C’est au xe siècle que l’on peut en rapporter les premières traces connues ; il est encore en son enfance, mais il existe déjà ; et si les exemples que les auteurs en citent durant ce siècle violent les règles de l’art héraldique, c’est uniquement parce que ces règles n’étaient pas encore établies ; tout était encore incertitude ; sa langue était sans fixité, ses figures rudimentaires. Au tournoi donné à Gœttingue en 934 par Henri l’Oiseleur, duc de Saxe, depuis empereur d’Allemagne, on voit Sgurer des pièces d’étoffes disposées précisément de la manière dont le furent plus tard les bandes, barres, pals, cotices ; on y reconnaît le losange, le burrelé, l’échiqueté, ce qui semble donner quelque fondement à l’opinion du P. Ménétrier, de de Spelman et de Muratori, qui regardent les armoiries comme nous étant venues d’Allemagne.

Au xie siècle, le blason existe en France ; les sceaux d’Adalbert, duc et marquis de Lorraine (1030 et 1037), où l’on voit l’aigle au vol abaissé ; celui de Robert, comte de Flandre (1072), qui est chargé d’un lion ; celui de Raymond de St-Gilles, comte de Toulouse (1088), avec la croix cléchée et pommetée, en font foi ; mais il faut arriver à la grande époque des croisades pour entrer dans la seconde période des armoiries, les voir se généraliser, se développer selon des règles fixes et plus tard invariables.

Les armoiries deviennent héréditaires. Voilà le blason créé ; mais à quelle époque les armoiries ontelles commencé à devenir héréditaires ? On a beaucoup discuté pour l’établir ; les uns veulent que ce soit à l’époque des premières croisades, et il pourrait bien se faire qu’ils n’eussent pas tout à fait tort ; d’autres en rapprochent la date jusqu’au milieu du xne et même à la fin du {sc|xiii}}e siècle. Il est probable qu’elles ne devinrent héréditaires que successivement, c’est-à-dire que les maisons nobles adoptèrent leurs armoiries, les unes à une date relativement ancienne, les autres à une époque plus moderne. Cela est si vrai que c’est encore ce que l’on voit se produire de nos jours.

Origine des figures héraldiques. Il est hors de doute que les premières croisades multiplièrent les armoiries. Les chevaliers venus de tous les points de l’Europe, et réunis en Palestine, voulurent se reconnaître sous les armes, et ils prirent non-seulement des cottes d’armes, des drapeaux, des boucliers de couleurs variées, mais ils y mirent encore divers signes propres à atteindre le but qu’ils se proposaient. De là ces animaux de toute espèce, lions, léopards, aigles, griffons, serpents, qui paraissent en si grand nombre sur les écus, et cette quantité de croix de toute nature que l’on remarque dans les armes des anciennes maisons nobles. À cette source ont été puisées d’autres figures encore, telles que les merlettes, ces oiseaux voyageurs que l’on représente sans bec ni pattes, peut-être pour indiquer que le chevalier est revenu des guerres saintes mutilé et estropié ; les croissants, les étoiles, souvenirs des figures peintes sur les étendards des infidèles, les besants, en mémoire des rançons que les croisés devaient payer pour racheter leur liberté, les monstres chimériques, admis dans les poésies orientales, toutes ces figures devinrent des symboles héraldiques. Si à


49