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Qu’il faille réserver des passages d’une couche sociale à l’autre, et qu’en ce sens toute classe doive désormais être ouverte, on ne le contestera sans doute plus. Car, indépendamment de l’histoire de l’ancienne noblesse, l’analyse des phénomènes propres à la civilisation moderne prouve surabondamment la nécessité des renouvellements anthropologiques.

Une des caractéristiques de notre civilisation est l’hypertrophie des villes ; toutes ses activités affluent vers la ville : c’est dans la ville et par la ville que règne la bourgeoisie. Si la noblesse était surtout une aristocratie terrienne et rurale, la bourgeoisie est essentiellement une aristocratie urbaine et citadine. Or la ville fait une énorme consommation d’hommes. Si elle continue de s’agrandir sans relâche, ce n’est pas par la multiplication progressive de ses éléments anciens, mais bien par l’infiltration ininterrompue d’éléments nouveaux. Diverses analyses statistiques l’ont clairement prouvé : ici, dans une ville catholique entourée d’une campagne protestante, on voit varier avec une extrême rapidité la proportion des membres de l’une et l’autre confession ; ailleurs la proportion des citoyens majeurs est beaucoup plus forte qu’on ne l’aurait supposé, si l’on n’avait tenu compte que du nombre des enfants nés dans la ville même ; la masse des hors venus l’emporte à chaque génération sur celle des indigènes[1]. Livrées à elles-mêmes, on verrait sans doute les villes atteintes à leur tour par l’oliganthropie, car la vie urbaine a vite fait de consumer les races qu’elle attire ; c’est l’affaire, en moyenne, de trois ou quatre générations[2]. Cette aristocratie citadine qui est la bourgeoisie serait donc, de toutes les aristocraties, la plus exposée à l’épuisement ; plus que toute autre elle a besoin d’être rafraîchie, régénérée, renou-

  1. G. Hansen, Die drei Bevölkerungsstufen, p. 27, 36.
  2. Ammon, L’Ordre social, p. 204.