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bourgeoisie ? Si elle n’a pu justifier l’organisation hiérarchique des sociétés anciennes, ne nous apprendra-t-elle pas, du moins, à respecter les survivances modernes de l’antique organisation ?

I

Il est entendu que, dans nos sociétés modernes, « il n’y a plus de classes ». De quelque souche qu’ils descendent, tous les citoyens sont égaux devant la loi. Ils jouissent des mêmes droits politiques. Ils ont libre accès aux mêmes fonctions. La société n’est plus une hiérarchie de mondes distincts : tous ses membres sont placés officiellement sur le même plan. En fait, que de profondes distinctions continuent de les séparer, on le sait de reste.

Manifestées par la différence des costumes et des manières, ces distinctions correspondent aussi, d’une façon générale, à des inégalités de traitements consacrées par les mœurs, sinon sanctionnées par les lois. L’homme « comme il faut », fût-il criminel, ne sera pas traité comme le pauvre hère. Le rang social en impose même à la police. Il en impose en tout cas à l’administration. La considération dont certains citoyens sont entourés leur garantit ainsi une puissance sociale particulière, et se traduit, dans la vie de tous les jours, sinon par des privilèges proprement dits, au moins par des avantages indéniables[1]. Or, à quoi tient ordinairement cette considération ? Pour une part, sans doute, à la fonction exercée ; pour une autre part, plus certainement, à la richesse possédée. Il est généralement admis, par exemple, qu’il est plus honorable, et comme plus noble d’être avocat que d’être greffier, d’être maître de forges que d’être forgeron, d’être médecin que d’être

  1. V. Goblot, Les Classes sociales, dans la Revue d’Économie politique, janvier 1899.