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mère de tous les vices, et la cause, par conséquent, de mille dégradations physiques. Si le déséquilibre et la dégénérescence croissante de la gens Claudia ou de la maison d’Espagne peuvent être difficilement mis sur le compte d’une culture trop intensive, on les attribuera peut-être plus aisément à l’abus des débauches de toutes sortes. Les excès sensuels produisent des effets analogues à ceux des excès intellectuels. Ce qui ne s’expliquerait pas par les devoirs trop lourds que leur mission sociale impose aux noblesses, s’expliquerait ainsi par les tentations trop faciles que leur procurent leurs privilèges mêmes.

D’ailleurs, que le privilège en soi constitue un danger pour les races, on le comprendra plus aisément si l’on se rappelle que le privilège est essentiellement une barrière pour la sélection. Les naturalistes nous ont rappelé que l’opération de la sélection, destinée à éliminer les échantillons défectueux d’une espèce, est nécessaire, non seulement pour que celle-ci progresse, mais pour qu’elle garde son rang ; qui dit arrêt de la sélection dit recul de l’espèce[1]. Or l’essence d’un privilège social n’est-elle pas de soustraire les descendants d’un certain nombre de souches à la sélection naturelle ? Les rejetons de la classe privilégiée ne grandiront pas en pleine terre, mais en serre chaude ; ils n’auront pas à lutter pour se faire une place au soleil ; ceux d’entre eux que la nature eût peut-être éliminés seront, de par la tutelle spéciale dont ils jouissent, soigneusement entourés, abrités, aidés à survivre.

Et certes — on l’a bien des fois noté — l’institution peut avoir ses avantages sociaux. Elle écarte de la jeune plante les cailloux et les ronces ; elle lui permet de donner de bonne heure tous ses fruits. Ainsi s’explique, sans doute, l’élévation précoce des Canning, des Peel, des Palmerston, des Glad-

  1. V. plus haut la théorie de Weismann, p. 51.