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avec certaines données biologiques : nombre d’animaux intelligents sont en effet peu féconds. — Elle flatte enfin certains sentiments : un peuple n’est pas malheureux de penser que si sa natalité diminue, c’est parce qu’il est très intelligent.

Toutefois les faits observés de plus près permettent-ils de conserver la théorie ? Parmi les animaux, si l’éléphant est moins fécond que les protozaires, l’espèce canine est plus féconde que l’espèce bovine ; elle n’est cependant pas moins intelligente. Parmi les hommes, il est difficile de prouver que les centres de moindre production vitale correspondent aussi exactement aux centres de surproduction intellectuelle. Rien ne prouve que ceux de nos départements où la natalité est le plus faible aient une activité cérébrale supérieure à la moyenne. On observe que le quartier de l’Élysée a une natalité plus faible que celle du Père-Lachaise ; mais sa natalité n’est pas plus faible que celle des départements du Gers, de l’Orne et du Lot-et-Garonne. Tandis que les communes agricoles des environs de Dunkerque augmentent encore de 50 pour 100, les communes agricoles des environs d’Argentan et d’Alençon n’augmentent plus que de 10 pour 100 ; celles-ci sont-elles plus « intellectuelles[1] » ?

Il est donc difficile de tenir pour prouvé que le développement de l’intelligence provoque directement l’extinction des races supérieures. Toutefois, que ce développement puisse indirectement hâter cette extinction, c’est ce qu’il est encore permis de soutenir. Toute qualité poussée à l’extrême et comme hypertrophiée devient un cas pathologique : elle écrase en quelque sorte les organismes qui la véhiculent. Pour que la vitalité d’une race se maintienne, un certain équilibre des fonctions est indispensable ; le déséquilibre entraîne bientôt la misère physiologique. Or il n’est pas étonnant

  1. Dumont, Natalité, p. 93 sqq. — Cf. Colajanni, op. cit., p. 164 sqq.