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nature ? Toutefois, à rechercher les origines des prescriptions exogamiques, on s’aperçoit qu’elles tiennent à des idées religieuses et principalement à des croyances totémistes qui ne semblent impliquer aucune connaissance quelconque des processus physiologiques[1]. En fait, aux exemples par lesquels on démontre la nocuité de la consanguinité des exemples inverses peuvent répondre.

Les Lagides et les Séleucides épousaient leurs sœurs, leurs tantes ou leurs nièces : leur sang fut vite appauvri. Les Juifs pratiquent forcément l’endogamie ; la neurasthénie est chez eux très fréquente. Mais, dans la commune de Batz ou de Bréhat, tout le monde est parent ; il ne semble pas que la race dégénère. On connaît des familles, — celle du Dr Bourgeois par exemple, — où le mariage consanguin, pratiqué pendant plusieurs générations, n’a amené aucune déchéance. Tout ce qu’on peut constater, c’est que la consanguinité additionne les tendances similaires des conjoints. « En elle même elle ne paraît avoir ni inconvénients, ni avantages : tout dépend de l’état individuel des individus qui la pratiquent[2]. » Elle aggrave les défauts comme elle raffine les qualités. Elle pousse les générations toujours dans le même sens ; mais elle ne les entraîne pas forcément hors du bon chemin. Elle est une cause d’accélération, non forcément une cause de déviation.

Pour expliquer la dégénérescence et finalement l’extinction des aristocraties, la consanguinité ne suffit donc pas. Elle aggrave les tares, elle ne saurait les créer. Où est donc et d’où vient la tare des aristocraties ? Quel est-ce défaut de la cuirasse que la consanguinité doit élargir à chaque génération ? Voilà ce qu’il faut maintenant rechercher.

  1. Cf. Durkheim, La Prohibition de l’inceste et ses origines, dans l’Année sociologique, I, 1898 (Paris, F. Alcan).
  2. Cf. Delage, Structure du protopl., p. 248-250.