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devienne, sous la pression même des circonstances, aussi barbare à l’égard de la race inférieure, que souple à l’égard de la race supérieure, et ardent à se dédommager, en faisant souffrir celle-là, de ce que lui fait souffrir celle-ci ? Combien de fois n’a-t-on pas attribué ainsi, à des caractères de races, des défauts bien plus aisément explicables par des situations sociales ?

En fait, là où l’opinion ne pèse pas sur eux, on voit les métis s’élever aussi aisément que les races pures. Des voyageurs ont retrouvé dans une petite île une population mélisse, descendant de quelques matelots anglais et de quelques femmes polynésiennes. Elle était, d’après leur rapport, aussi remarquable par ses qualités morales, par son intelligence vive, par son désir de s’instruire, que par sa force et son agilité. Au Brésil, où l’opinion est moins rude aux métis, la presque totalité des peintres et des musiciens appartient à la race croisée, qui compte aussi beaucoup de médecins. Au Vénézuéla, nombre de mulâtres se sont distingués comme orateurs, comme publicistes, comme poètes[1]. Les races croisées seraient donc aussi capables que les races pures de remplir les fonctions « intellectuelles » d’une société.

III

Il est par conséquent impossible de prouver que les croisements soient aussi dangereux que le prétendent nos anthroposociologues ; et peut-être-sera-t-il possible de prouver que les croisements sont très utiles, au contraire, sinon indispensables.

Considérons en effet ces aristocraties qu’on loue de leur orgueil isolateur, et essayons de suivre leur trace à travers

  1. Ribot, op. cit., p. 417 sqq.