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La vigueur et la fécondité des métis sont moindres, nous dit-on. Mais Darwin ne nous a-t-il pas fait observer que le croisement, qu’il s’agisse des plantes ou des animaux, est souvent employé comme un moyen de rendre précisément la vigueur et la fécondité à une variété épuisée[1] ? En fait, là où les métis humains ont pu se répandre librement, rien ne prouve que leur résistance à la mort ait été moindre que celle des races pures. Au Mexique et dans l’Amérique du Sud, ne se sont-ils pas élevés en trois siècles au cinquième de la population totale ? Ne constate-t-on pas en Polynésie, aux îles Marquises, que tandis que la population indigène décroît, les métis se multiplient ? La thèse qui veut que leur fécondité soit moindre reste en tout cas dénuée de preuve. Les quartiers pauvres de Paris n’ont-ils pas une population aussi métissée que les quartiers riches ? Leur fécondité est cependant plus élevée. Dans les départements de la Seine-Inférieure, du Nord, des Bouches-du-Rhône, la natalité se maintient à un taux satisfaisant : ces départements ont-ils cependant une population plus homogène ? Inversement, dans l’île de Ré, la population est peu mélangée : cela n’empêche pas sa fécondité de diminuer[2]. Il faut donc chercher, ailleurs que dans le métissage, les raisons de la « dépopulation » de certaines nations modernes.

Soutiendra-t-on du moins que le croisement des races, s’il n’entraîne pas une déchéance physique, entraîne une déchéance morale ? C’est ici qu’il faut se rappeler combien il est difficile de discerner, sous les influences sociales, les influences proprement biologiques. Le métis vit presque toujours dans une situation plus ou moins fausse, dédaigné des uns, envié des autres, exposé parfois aux haines convergentes des deux races dont il sort. N’est-il pas naturel qu’il

  1. Delage, Structure du protopl., p. 253.
  2. Dumont, Natalité et Démocratie, p. 112-115.