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substitue, à l’apologie du régime des castes, l’apologie du régime aristocratique.

I

De ce dernier régime il sera plus facile de relever les effets que du régime précédent. Si l’institution des castes spécialisées se réalise rarement, l’institution de la noblesse est chose quasi universelle. Ce n’est pas seulement sur notre moyen âge qu’on voit se dresser cette pyramide de privilèges étagés qui constitue le régime féodal. La plupart des grands empires ont ainsi connu des classes nobles ayant leurs charges et leurs privilèges propres, tantôt appuyées sur la royauté, tantôt luttant contre elle, mais toujours dominant de haut la masse du peuple. Dans la civilisation qui nous touche du plus près, la civilisation gréco-romaine, nous ne rencontrons plus, sans doute, un régime féodal, mais un régime municipal ; au lieu des bourgs isolés sur les collines, nous y voyons les cités déployées sur les rivages. Mais est-ce un esprit démocratique qui règne dans ces cités ? C’est un esprit doublement aristocratique au contraire : le patricien s’isole du plébéien ; le citoyen vit de l’esclave. Il ne faut donc pas oublier, lorsqu’on admire la splendeur du monde gréco-romain, la cariatide sur laquelle ce globe repose en l’écrasant. Les républiques de l’antiquité sont encore des aristocraties.

Comment s’étonner d’ailleurs que presque toutes les civilisations aient connu la forme aristocratique — quand on se rend compte que, sans aristocratie, une civilisation proprement dite ne saurait naître ? Pour que surgissent ces grandes inventions qui la constituent — mythes et rites, arts et sciences, pratiques et techniques de toutes sortes — encore faut-il que tous les hommes ne soient pas perpétuellement courbés sur la terre par les soins matériels ; encore faut-il que quel-