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Mais l’intervention de la civilisation anglaise va peut-être nous rendre, en ce point, un service inattendu. Elle dissout lentement le régime des castes ; or, précisément dans la mesure où elle le dissout, ne permet-elle pas d’en juger les effets ?

Faisant profession d’oublier les différences de races comme les différences de religions, elle ouvre brusquement, devant cette hiérarchie immobilisée, un régime de concours. Elle fournit donc à l’individu plus d’occasions de donner sa mesure ; et c’est nous fournir du même coup plus d’occasions d’éprouver si, réellement, les membres des différentes castes ont été différemment modelés par l’hérédité des professions. La civilisation occidentale jouerait ainsi, à l’égard de la civilisation hindoue, le rôle d’une pierre de touche ; elle nous permettrait de discerner, expérimentalement, les qualités naturelles des éléments spécialisés par le régime des castes.

Mais peut-être, dans la mesure où elle est possible, l’épreuve va-t-elle nous procurer des arguments tout différents de ceux qu’escomptaient nos apologistes.

Considérons, en effet, les résultats de cette mobilisation sociale à laquelle donne lieu la domination anglaise ; classons les fonctions que s’approprient les membres des différentes castes et les rangs qu’ils atteignent ; nous n’obtiendrons rien moins ainsi qu’une démonstration de leurs qualités spécifiques[1].

Pour les qualités militaires, ceux qui prétendent descendre de la caste des Kshatriyas les possèdent sans aucun doute : mais en ont-ils le monopole ? Il y a longtemps qu’on a remarqué, au contraire, que l’armée anglaise était un rendez-vous pour toutes les castes, et que les plus basses, suivant l’ex-

  1. Nous empruntons les faits qui suivent aux ouvrages de Pramatha nath Bose et Jogendra nath Bhattacarya, cités dans la note bibliographique, p. 43.