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comment prouver que le talent des fils est dû au fait que les pères se sont exercés dans cette fonction ? Euler, fils de mathématicien, est mathématicien hors ligne : qui démontrera que ses aptitudes spéciales sont dues aux efforts déployés, aux habitudes contractées, aux qualités acquises par son père, bien plutôt qu’aux dons innés qui ont pu se retrouver chez l’un comme chez l’autre ? Auriez-vous nettement constaté l’existence de véritables races de mathématiciens, de médecins ou de peintres, il resterait encore à démontrer que la formation de ces races est bien due à la pratique ancestrale de la peinture, de la médecine ou de la mathématique, et que cette hérédité est bien fille de l’habitude.

Mais s’il en était ainsi, ne devrions-nous pas remarquer en effet, de génération en génération, une « addition croissante » des qualités, une « accélération continue » du progrès, un perfectionnement indéfini des organes dans le sens de la fonction héréditaire ? Les descendants d’une race de manouvriers devraient en effet soulever de plus en plus de kilogrammes, comme les descendants d’une race de pasteurs protestants, prêcher de mieux en mieux. C’est, dit K. Bücher[1], ce qui se laisse difficilement constater. Dans certains cas bien nets, comme dans l’histoire des Jurandes du xvie au xviiie siècle, on peut suivre, de père en fils, une dégradation de l’habileté technique — ce qui s’explique d’ailleurs par des raisons d’ordre psychologique ou social bien plutôt que par des raisons d’ordre biologique — mais nulle part un affinement continu et indéfini. Le fils d’un athlète, remarque Weismann[2], hérite peut-être des dispositions que son père avait en venant au monde, mais non d’une augmentation de celles-ci : lui non plus n’arrivera pas à soulever plus de trois

  1. Die Entstehung der Volkswirthschaft, 2e édit., p. 338 sqq.
  2. Essais sur l’hérédité, p. 479.