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C’est en effet l’erreur commune des nouveaux adorateurs de l’hérédité ; ils l’imaginent inscrivant tout et ne laissant rien perdre. Ils ne distinguent pas entre les facultés élémentaires et indéterminées, d’une part, et d’autre part les capacités proprement dites, compliquées et spécialisées. Ils ne se rendent pas compte que celles-ci, souvent trop fragiles pour supporter le transfert d’un organisme à un autre, doivent fatalement disparaître avec celui qui les a composées.

Fatalité heureuse, d’ailleurs, s’il est vrai que, sans cette dislocation qui libère les aptitudes ainsi combinées, l’initiative des héritiers serait comme écrasée par la consolidation des héritages ; tous les modes de son activité étant préformés, l’enfant serait « aussi incapable de réadaptation que le vieillard » ; l’homme ne serait plus qu’un complexus d’instincts, et non une intelligence. Mais ce qui fait la supériorité de l’homme, c’est que son cerveau n’est jamais adulte[1]. Par cela même qu’il n’est pas encombré par l’hérédité de coordinations toutes faites, il reste capable d’adapter ses aptitudes aux exigences du présent, et c’est en fonction du présent, bien plutôt qu’en fonction du passé, que s’ordonneront les éphémères combinaisons d’aptitudes qui constituent les qualités professionnelles.

Il est donc vain de regretter que le fils ne succède plus au père dans sa profession, comme la cellule hépatique succède, dans le foie, à la cellule hépatique. Les fonctions sociales sont toujours choses infiniment moins simples que la sécrétion de la bile. Pour les bien exercer il ne suffit pas que l’individu ait laissé faire, en quelque sorte, les dispositions innées de son organisme ; il faut que celles-ci aient été façonnées, limées et ajustées par la coopération incessante de ses efforts et des circonstances. C’est dire que la capacité d’un

  1. Manouvrier, L’indice céphalique, p. 238. Aptitudes et actes, p. 238. Cf. Draghicesco, Détermin. soc., p. 52, 73.