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À vrai dire, toujours modeste et prudent, Darwin, bien qu’il n’eût pas une haute idée des mérites de son devancier, s’était gardé de juger l’hypothèse lamarckienne inadmissible ou même inutile. Il reconnaît à plusieurs reprises que la sélection n’est pas l’instrument unique de la métamorphose des espèces. Il donnera lui-même, dans les Variations des animaux et des plantes, des exemples de modifications acquises qui ont dû être transmises par l’hérédité[1]. Mais, comme il arrive souvent, les disciples se sont montrés plus intransigeants que le maître. Les « néo-darwiniens » sont plus darwiniens que Darwin. Et l’on sait que Weismann, leur plus brillant porte-parole[2], proclame que l’hypothèse de l’hérédité des qualités acquises, bien loin d’être indispensable, est invérifiable, et même inconcevable.

L’idée directrice du weismanisme est qu’il y a lieu de distinguer radicalement, dans le vivant, entre la part de l’individu et la part de la race, entre les cellules qui appartiennent en propre à l’être détaché, composant ses organes éphémères, et celles qui, réservées pour la reproduction, sont destinées à assurer la durée du type, entre le plasma constitutif et le plasma germinatif, entre le soma et le germen. Dès lors, si ces deux parties sont en effet nettement séparées, pourquoi et comment une modification éprouvée par celle-là déposerait-elle une trace durable sur celle-ci ? Pourquoi les qualités acquises par un individu s’incorporeraient-elles au patrimoine de la race, au point de devenir, pour les descendants de cet individu, des qualités innées ? « Comment le renforcement d’un muscle ou d’une articulation par l’exercice, comment l’allongement de l’œil par la lecture assidue, comment la suppression de la queue par amputation, comment l’aptitude musicale développée par la

  1. V. les passages relevés par Le Dantec, Lamarckiens, p. 82, et par Haycraft, Natürl. auslese, p. 32.
  2. V. les Essais sur l’hérédité. Cf. les récents Vorträge, chap. xvii-xx.