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CHAPITRE I

LE LAMARCKISME ET L’HÉRÉDITÉ DES QUALITÉS PROFESSIONNELLES

L’apologie du régime des castes repose sur cette idée, que les habitudes acquises par les pères tendent à constituer autant d’aptitudes innées chez les fils, et que ceux-ci naîtront, par suite, d’autant plus propres à l’exercice d’une fonction que leur famille l’aura depuis longtemps monopolisée. En un mot c’est par la puissance d’enregistrement des habitudes héréditaires qu’on justifie l’accouplement des métiers et des lignées : les piliers du régime ne sont autres, semble-t-il, que les lois mêmes dressées par Lamarck au seuil du siècle.

« Un manouvrier, assure M. Topinard, lève tant de kilogrammes, et arrive par son expérience à tripler le chiffre ; son fils, s’il lui ressemble et s’il se livre au même travail, atteindra un chiffre plus élevé, et léguera à son fils la disposition à monter plus haut encore[1]. » Et ce qu’on affirme ainsi des professions manuelles doit être vrai des professions intellectuelles. Schmoller lui-même paraît admettre[2] qu’il se forme dans tous les ordres, par la spécialisation continuée des activités, de véritables différenciations des individus, dont les différences de rang ou de richesse ne seraient que

  1. Anthropologie et science sociale, p. 294.
  2. Dans le Grundriss der allgemeinen Volkswirthschaftslehre (I, p. 393, 396), on trouve atténuée, mais non abandonnée, la thèse soutenue dans le Jahrbuch fur Gesetzgebung, XIV.