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LIVRE PREMIER


HÉRÉDITÉ

POSITION DU PROBLÈME

On sait quelle large place a conquise, dans la littérature du xixe siècle, la notion de la toute-puissance de l’hérédité. Il semblait que cette notion fût faite pour répondre simultanément à deux aspirations bien diverses : à un ancien besoin d’admiration mystique, et à un besoin nouveau d’explication scientifique. On s’émerveillait de la pérennité des influences ancestrales ; l’obscurité même de leur mode d’action en décuplait le prestige. Et d’autre part, en affirmant que la vie antérieure de nos ancêtres a déposé, au sein de nos organismes, des traces matérielles ineffaçables, on pensait adopter un langage conforme aux tendances de la science : connaître scientifiquement un phénomène, n’est-ce pas, semblait-il, montrer les racines par lesquelles il plonge dans la matière ? C’est pourquoi le roman naturaliste devait tant user des « fatalités de l’atavisme », pendant que les historiens prêtaient couleur de science à leurs récits par des considérations sur le « génie des races ». « Les Germains ont dans le sang le besoin de l’indépendance. — Les Sémites ont le crâne monothéiste. — Héréditairement, l’homme de sang latin aime l’unité…  » La vulgarisation de pareilles thèses donnait créance à cette opinion, à laquelle le nationalisme de nos jours devait