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C’est en un mot sur des constatations de faits, non sur des suppositions de fins que Darwin prétend bâtir sa théorie. Si l’analogie de l’activité humaine le guide à son point de départ, il exclut, à son point d’arrivée, tout ce qui ressemble à une intervention de l’activité humaine. Comment il peut s’opérer des choix dans le monde vivant, mais sans la présence d’aucune providence opératrice, c’est précisément ce que démontre la théorie de la lutte pour l’existence : elle ne prête, en aucun moment, aucune visée à la force des choses. Étant données, d’une part, des circonstances déterminées, — une disette de proies, une sécheresse du sol, un abaissement brusque de la température, — d’autre part certaines variations individuelles, — des pattes plus ou moins musclées, des racines plus ou moins longues, une fourrure plus ou moins épaisse, — la sélection des plus aptes en résulte spontanément, ou, pour mieux dire, automatiquement.

Huxley avait donc raison : « L’originalité du darwinisme est de montrer comment peuvent s’expliquer sans l’intervention d’une volonté intelligente des harmonies qui paraissaient impliquer avant lui l’action d’une intelligence et d’une volonté. » Et après qu’on a renforcé les idées de Milne-Edwards par celles de Lamarck, et celles-ci par celles de Darwin, le mouvement enveloppant du mécanisme paraît achevé : il n’y a plus de place désormais, dans notre conception de la nature, pour les conjectures d’un finalisme anthropomorphique : c’est du sein même des faits que nous avons enfin dégagé, semble-t-il, les lois objectives du progrès des êtres.

On comprend quel prestige devaient revêtir, aux yeux de ceux qui se défient de la métaphysique, des lois ainsi présentées. Ce ne sont plus, pense-t-on, des aprioristes qui les