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« La pensée de ce combat universel est triste ; mais pour nous consoler nous avons la certitude… que ce sont les êtres les plus vigoureux, les plus sains et les plus heureux qui survivent et se multiplient… C’est ainsi que de la guerre naturelle, de la famine et de la mort résulte directement l’effet le plus admirable que nous puissions concevoir : la formation lente des êtres supérieurs[1] ». C’est donc la pression exercée par les êtres les uns sur les autres qui, en diversifiant et en améliorant leurs types, produit l’ascension des races. Tout s’enchaîne automatiquement : la surproduction détermine la concurrence, qui détermine à son tour la sélection. Ainsi, sans qu’il y ait personne pour les élire, les meilleurs sont élus par la force des choses.

On voit, par ce bref résumé, combien fut lourde l’erreur de ceux qui n’aperçurent, dans le darwinisme, qu’une restauration paradoxale de l’anthropomorphisme[2]. « La nature douée d’élection ! s’écriait Flourens. Dernière erreur du dernier siècle ! Le xixe siècle ne fait plus de personnifications…  » Mais Darwin avait prévu et paré la critique. Il avait averti qu’on ne prit pas à la lettre des métaphores nécessaires. Vous parlez d’affinité en chimie ou d’attraction en astronomie sans imaginer pourtant que l’acide recherche la base ou que le soleil aime la terre. Ainsi vous faut-il parler de sélection en biologie sans attribuer à la nature on ne sait quelles options conscientes[3]. « Il est malaisé, ajoutait-il, d’éviter de personnifier le mot nature ; mais par nature, j’entends seulement l’action combinée et les résultats complexes d’un grand nombre de lois naturelles, et par lois la série des faits que nous avons reconnus[4] ».

  1. Origine, p. 78, 506.
  2. V. Huxley, L’Évolution et l’origine des espèces, trad. fr. Paris, Baillière, 1892.
  3. Origine des espèces, p. 83.
  4. La sélection naturelle, dira Weismann, est zweckmässig mais non zweckthätig. Le but est atteint sans avoir été visé.