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les uns des autres ; elle multiplie sans doute à chaque instant des variations indiscernables pour nous. Mais d’où viendra, sans nous, le signe de rédemption ou de condamnation qui doit retenir les uns pour la survie et rejeter les autres à la mort ?

C’est encore, comme l’on sait, une idée dictée par l’observation de l’humanité qui devait ici guider Darwin. La population croît plus vite que les subsistances, avait dit Malthus. « Un homme qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille n’a pas le moyen de le secourir et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture : il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature, il n’y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution. » Malthus indiquait déjà que la même loi se vérifie chez tous les êtres vivants. Ils manifestent tous « une tendance constante à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée… La nature a répandu d’une main libérale les germes de la vie dans les deux règnes, mais elle a été économe de place et d’aliments ».

« L’idée me frappa, écrit Darwin[1], que dans ces circonstances les variations favorables tendraient à être préservées, tandis que d’autres moins privilégiées seraient détruites. » La loi de Malthus, « appliquée à tout le règne animal et végétal[2] », le conduisait donc naturellement à la théorie de la concurrence vitale. Résultant de la disproportion entre la quantité des aliments et la quantité des êtres, la lutte universelle apparaissait comme une nécessité bienfaisante.

Et en effet si la nature n’enrayait leur progression, les

  1. Vie et Correspondance de Ch. Darwin, I, p. 86.
  2. Origine, p. 4.