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unit ces doigts à leur base contracte par ces écartements sans cesse répétés l’habitude de s’étendre : ainsi, avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, oies, etc. se sont formées telles que nous le voyons. » De même façon, par une série d’efforts répétés toujours dans le même sens, s’expliquerait l’allongement de la langue du pic, le déplacement des yeux des poissons aplatis, l’extension du cou de la girafe, la formation des griffes chez certains mammifères. Les modifications des êtres résultent des besoins et des habitudes que leur milieu leur impose.

Mais croirons-nous que les modifications acquises par l’individu meurent avec lui et qu’ainsi, à chaque naissance, l’effort d’adaptation est à recommencer ? Non, répond Lamarck « tout ce que la nature a fait acquérir ou perdre aux individus par l’influence des circonstances où leur race se trouve exposée, et par conséquent par l’influence de l’emploi prédominant d’un tel organe ou du défaut « constant d’usage de cette partie, elle le conserve par la génération aux nouveaux individus qui en proviennent, pourvu que les changements acquis soient communs aux deux sexes ou à ceux qui ont produit ces nouveaux individus. » L’hérédité conservera donc ce que l’habitude aura créé. Par ces deux lois, la fixation comme, la variation des formes organiques est expliquée, et nous comprenons enfin comment les modifications des individus ont pu aboutir à la constitution des espèces.

Dès lors nous n’avons plus besoin de nous représenter la nature comme un Démiurge qui modèle les êtres du dehors et leur impose certaines formes préconçues. Nous voyons ici les vivants chercher spontanément leur forme, et se modeler en quelque sorte eux-mêmes, sous la seule pression des milieux. « La nature, dit Lamarck[1], ce mot souvent prononcé

  1. I, p. 359.