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on pourra s’assurer que toute trace du canal intestinal et de la bouche a entièrement disparu ; il n’y a plus d’organe particulier quelconque[1]. »

À cette considération Lamarck en ajoute aussitôt une autre que développera plus tard Darwin. Entre les êtres, plus ou moins parfaits, il n’y a pas à vrai dire de solution de continuité. Les extrémités de la série nous paraissent n’avoir plus rien de commun ; mais le progrès de nos connaissances nous découvre, entre les termes extrêmes, une multitude inaperçue d’intermédiaires. De là l’embarras croissant des naturalistes lorsqu’il s’agit aujourd’hui de limiter les espèces. « Comment « étudier maintenant, ou pouvoir déterminer d’une manière solide les espèces, parmi cette multitude de polypes de tous les ordres, de radiaires, de vers surtout, d’insectes où les seuls genres papillon, phalène, noctuelle, teigne, mouche, ichneumon, charançon, capricorne, scarabée, cétoine offrent déjà tant d’espèces qui s’avoisinent et se confondent presque les unes avec les autres ? » Il ne faut donc pas que les lignes de séparation que l’infirmité de notre esprit nous force à dessiner sur la nature nous empêchent de voir son unité : il ne faut pas que les « parties de l’art » nous voilent les « rapports des organismes[2] ». Pour qui ne ferme pas les yeux à cette fusion des nuances, il apparaît que la série animale ne constitue pas une échelle, mais bien plutôt une « chaîne ». Il y a dans la nature de la continuité en même temps que de la hiérarchie. Entre ses productions, la gradation est marquée, mais les distinctions ne sont pas tranchées.

Si ces deux, faits sont exacts et si dans la chaîne animale les organismes, inégaux en complication, se touchent de si près, n’est-on pas naturellement amené à supposer que les

  1. Philos. zool., I, p. 210.
  2. Ibid., I, p. 61, 27, 33.