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sociologie nous a le mieux appris, c’est à nous défier des analogies toutes superficielles, en vertu desquelles on rapprochait par exemple la démocratie moderne des soi-disant démocraties de l’antiquité classique ou des temps primitifs. Nous nous rendons compte que par les formes de leur gouvernement et de leur administration, par la puissance de leur industrie, enfin et surtout par les exigences des consciences qui les aiguillonnent, nos sociétés sont au vrai « sans analogues ». Il nous faut donc, mutatis mutandis, répéter des sociétés démocratiques comparées aux autres, ce que nous disions des sociétés humaines en général comparées aux organismes. De nouvelles conditions d’existence entrent ici en ligne de compte ; de nouveaux buts sont visés, de nouveaux moyens d’action sont dressés. Nul ne peut prédire scientifiquement, devant cet essai inédit, le possible et l’impossible : nul n’est autorisé à décourager ou à encourager notre effort au nom d’une norme objective qui reste ici indéterminable.

Au surplus, eût-on même réussi, par des méthodes indirectes et analogiques, à déterminer ce qui vraisemblablement est normal pour nos sociétés, est-ce cela qui suffirait à orienter notre conduite ? De ce qu’une tendance apparaît comme normale s’ensuit-il immédiatement qu’elle apparaîtra comme désirable ? Imaginons qu’on nous ait démontré que ce respect de l’égale dignité des individus, assigné comme centre à la morale sociale par la démocratie, est en effet — étant donné le déclin fatal des autres sentiments traditionnels, ébranlés par les modifications structurales de nos sociétés — le seul sentiment qui ne se dérobe pas à l’entente commune[1]. Ce sentiment individualiste est désormais, nous dira-t-on, le seul ciment recevable, le ciment indispensable de toute solidarité. Par suite, en prenant des mesures pour satisfaire ce

  1. C’est à peu près la démonstration que donne M. Durkheim dans la Div. du trav.