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dans toutes les autres, sont celles qui se modèlent, consciemment et méthodiquement, sur les faits. Observons sans parti pris la nature sociale comme nous avons observé la nature physique ; et de même que la connaissance scientifique de celle-ci a engendré nombre de pratiques hygiéniques ou médicales qui améliorent la santé des individus, de même la connaissance scientifique de celle-là donnera naissance à un « art pratique rationnel », qui nous permettra de distinguer, objectivement, ce qui doit être conservé de ce qui doit être réformé, pour la bonne santé des groupes[1]. — C’est cette morale scientifique inédite, fondée sur la sociologie proprement dite et non plus sur la biologie, qui sera peut-être la morale « de demain » ; c’est sur elle que l’on comptera pour départager définitivement partisans et adversaires de la démocratie.

Les espérances ainsi formées ont-elles plus de chances d’aboutir que celles que nous venons de décourager ? — Nous n’avons nullement l’intention de trancher ici la question posée en ces termes nouveaux. Il y faudrait de tout autres études. Et d’abord il faudrait que l’expérience eût été tentée : il faudrait, voulons-nous dire, que cette morale proprement sociologique fût sortie de la période des promesses. C’est une méthode imprudente et peu persuasive — nous l’avons rappelé — que celle qui, en vertu de quelques distinctions critiques vite formulées, déclare sur son seul programme irrecevable, impuissante ou insuffisante, telle nouvelle doctrine de la conduite. Que cette doctrine se constitue, qu’elle rassemble ses thèses, qu’elle déroule ses solutions jusqu’au détail pratique, en un mot qu’elle fasse ses preuves. Alors, et alors seulement on pourra constater si elle résout en fait les problèmes auxquels elle s’était attaquée ; on jugera l’arbre aux fruits.

  1. V. une expression toute récente de ces espérances dans le livre de M. Lévy-Bruhl, La morale et la science des mœurs, Paris, F. Alcan, 1903.