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d’abaisser les barrières de toutes sortes que le régime des castes eût voulu multiplier dans les sociétés. Mais d’une part, l’étude attentive des lois de l’hérédité ne prouve nullement que les qualités professionnelles se transmettent du père au fils. Cette même étude semble démontrer d’autre part que toute lignée qui s’isole s’étiole, et que les mélanges de sangs, bien loin d’entraîner un « abâtardissement » fatal, servent heureusement de préventifs contre la dégradation des races. En favorisant la liberté des croisements, l’esprit démocratique ne fait donc que rendre plus aisé ce processus de renouvellement anthropologique nécessaire à la santé de l’ensemble. — De même, à ceux qui l’accusent d’entraver la libre concurrence, les partisans de l’esprit démocratique peuvent répondre : ce sont les régimes conservateurs qui empêchent, par toutes sortes d’avances ou de charges sociales arbitrairement distribuées, les capacités naturelles de se mesurer et de se classer à leur juste place, pour le plus grand bien du tout. En travaillant à diminuer les inégalités extrinsèques, au point de départ, n’est-ce pas au contraire la démocratie qui universalise et libère vraiment la concurrence ? — Enfin, aux apologistes de la différenciation, on pourrait encore faire observer que les sociétés occidentales, où l’industrie se développe du même mouvement que la démocratie, sont aussi celles où le travail est le plus divisé. L’absence même de ces espèces de pétrifications caractéristiques du régime des castes n’y rend-elle pas plus aisée une spécialisation incessamment croissante des lâches, capable de se plier à tous les besoins nouveaux ? — De ce point de vue, l’opposition prétendue se résoudrait en adaptation ; et bien loin de s’avouer « antiphysique », le mouvement démocratique pourrait se présenter comme une sorte de retour à la nature, délivrée enfin du poids de tant d’institutions isolatrices et prohibitives, qui arrêtaient le libre développement de ses puissances.