Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/283

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vation d’un système de primes aux supériorités, destiné à obtenir le rendement maximum des facultés naturelles. Mais l’intérêt social bien entendu exige aussi et exigera de plus en plus, — à mesure que la conscience sociale sera plus réfléchie — que la force se déploie pour les faibles et non contre eux, que la supériorité, quelle qu’elle soit, loin d’asseoir des privilèges, pour ceux qui la possèdent, sur la misère du grand nombre, « devienne un avantage pour ceux mêmes qui ne la partagent pas ».

Par où l’on voit en quel sens la démocratie spécifie les formules que le naturalisme, nous l’avons observé, laissait indéterminées.

De quels êtres peut-on dire, demandions-nous, qu’ils sont les plus forts, les plus aptes, les meilleurs ? Cela dépend des milieux, de leur pression, et comme de leurs demandes. Or la demande des sociétés démocratiques est claire. Il leur faut sans aucun doute, pour les faire vivre et progresser, des peuples d’hommes forts, forts par le corps et l’esprit ; mais il leur faut encore et surtout des forts qui n’abusent pas de leur force, qui sachent la consacrer au service de tous, et en limiter quand il le faut les exigences par le souci des droits des faibles, — des hommes forts par la conscience. Et c’est pourquoi « les plus aptes » sous un pareil régime, ceux dont il faudrait souhaiter par-dessus tout que le type allât en se multipliant, seraient en effet « les meilleurs » au sens humain du mot, les individus capables d’accepter allègrement tous les devoirs de la solidarité. En ce sens, et si l’on veut continuer à professer que les impulsions vraiment naturelles sont celles qui nous poussent à lutter les uns contre les autres, sans souci des contre-coups de la lutte, il faut convenir que la démocratie ne se borne pas à assurer le libre jeu des lois de la nature : elle nous incite à les dépasser.