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nous formons, comme si chacun de nous avait consenti à ces conditions. Or, s’il est vrai que nous avons à compter avec un nombre croissant d’avantages et de risques d’origine collective, il est vraisemblable que des êtres raisonnables, au moment de fonder aujourd’hui une société, commenceraient par poser en principe la mutualisation de ces risques comme de ces avantages. D’un commun accord ils jugeraient absurde d’attribuer la plus grande partie des bénéfices à quelques-uns, de laisser retomber toutes les charges sur les autres. Ils jugeraient légitime, devant l’accumulation des biens obtenus par la collaboration de tous, qu’une part en fût réservée pour assurer, même aux faibles, « victimes du sort », le minimum indispensable à la vie. Ils estimeraient qu’à laisser tels de ses membres mourir de faim, à côté de ses richesses collectives croissantes, leur association se blesserait elle-même, dans ses titres au concours de tous. Ne répète-t-on pas que c’est le spectacle le plus démoralisant et le plus décourageant qu’un vieillard qui meurt de misère, après une vie de labeur[1] ? Secouru, il ne rendra plus rien sans doute. Mais la société lui doit, et si elle n’acquitte pas cette dette, elle se fait tort ; le préjudice le plus grave retombe sur elle : elle laisse se perdre et comme s’évaporer, des consciences qu’elle assemble, cette close de confiance mutuelle, et par suite d’entrain au travail, sans laquelle toute volonté de vie commune se dessèche et se détend.

On comprend donc en quel sens refuser l’assistance sociale aux individus, ce serait aujourd’hui porter atteinte à la communion sociale elle-même. Il arrive un moment où, sous la poussée des transformations constitutionnelles que nous avons rappelées, par le double mouvement de la spécialisation croissante et de la croissante complication, les croyances communes, assises sur l’homogénéité et l’unanimité des

  1. V. Belot, Confér. cit., p. 128.