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loppement » n’est-elle pas « orientée vers la défense et la mise en œuvre de toutes les richesses contenues en germe dans l’être humain ? » En ce sens, ne poursuit-elle pas précisément la fin dont se réclamaient les apologistes de la concurrence ? Elle veille à ne laisser perdre aucune énergie, à les faire valoir toutes autant qu’il est possible. Ses mesures « philanthropiques » peuvent être ainsi présentées, pour l’ensemble social, comme autant de mesures utilitaires[1].

Mais il faut penser à une utilité plus haute. Quand bien même, dans la masse des êtres secourus ou protégés, il se trouverait en effet des faibles, dont la vie prolongée ne rapportera sans doute jamais à la société ce qu’elle aura dépensé pour eux, il serait encore de son intérêt bien entendu d’engager ces dépenses. Et en effet il importe que les sociétés n’oublient pas quels sentiments sont nécessaires à leur cohésion. La productivité économique elle-même serait menacée si les individus ne gardaient la volonté profonde de « tenir ensemble », de faire œuvre commune, de continuer l’association.

Or à quelles conditions s’entretiendra cette volonté de vie sociale ? Il semble qu’il y faille désormais, dans une civilisation « réfléchie » comme la nôtre, un minimum de droits garantis à tous les membres quels qu’ils soient de l’association, ou, comme on dit encore, le respect des clauses implicites du quasi-contrat social[2]. Quelles conclusions pratiques vont se dégager, sous le rayon de cet idéal, des faits que nous avons reconnus ?

Le contrat social n’est qu’un mythe : les individus que relie, de génération en génération, la solidarité des services échangés n’ont sans doute point débattu, à l’origine, les conditions de cet échange ; mais tout le monde conviendra aujourd’hui que tout devrait se passer, dans la société que

  1. Millerand, Social. réform., p. 10.
  2. Voir les ouvrages cités sur la solidarité et l’article de M. Andler, Revue de métaph., 1897, p. 520-530.