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La solidarité même qui se manifeste dans la production, la nature spécialement sociale de certains avantages et de certains risques fournit à ces interventions une base d’opérations toute trouvée. N’avons-nous pas vu qu’il existe dans toute société des capitaux collectifs, et qu’il se produit des générations de valeurs qui ne sont l’œuvre propre d’aucun individu ? Il y a de même un certain nombre de fléaux, comme la maladie et la vieillesse, comme les accidents du travail et le manque de travail, dont l’action dépend moins des volontés individuelles que des fatalités, naturelles ou des défectuosités de l’organisation sociale. N’est-il pas légitime que ces avantages et ces risques soient « mutualisés » ? Les accroissements de richesse, qui sont le fait de la collectivité entière, ne devraient-ils pas revenir à la collectivité entière ? Et n’en devrait-elle pas profiter pour assurer les individus contre ces risques qui sont indépendants des efforts individuels ?

Et qu’on ne dise pas que de pareilles « socialisations du droit[1] », mettant à la charge de la société, comme autant d’obligations strictes, tant de mesures d’assurance et d’assistance mutuelles, seraient directement contraires à l’intérêt bien entendu de l’ensemble. D’abord, dans un grand nombre de cas, il est trop clair que l’assistance est un placement : elle entretient des êtres provisoirement ou momentanément inutiles, mais capables de devenir ou de redevenir utiles à leur tour. Lorsque la société soutient la femme qui va enfanter, recueille l’enfant, relève le malade, ce sont des forces sociales qu’elle sauvegarde[2].

Toutes les réglementations du travail, destinées à maintenir des conditions hygiéniques ou à prévenir les accidents dans les ateliers, répondent à la même préoccupation. « Une législation protectrice de l’individu et soucieuse de son déve-

  1. V. les explications de M. Charmont sur cette expression. Revue de Métaph., 1903, p. 380 sqq.
  2. Belot, Confér. cit. (Morale sociale, 120 sqq.).