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Mais, de plus, est-ce jamais de mes seules mains que ces objets reçoivent l’empreinte ? Pour que les facultés de l’individu transforment la nature, ne faut-il pas qu’elles soient secondées par des instruments de toutes sortes, et dont la part d’influence s’élargit à mesure que la civilisation se raffine ? En ce sens, on a pu dire[1] que l’inventeur de la charrue ou du métier à tisser continue de labourer ou de tisser aux côtés des paysans et des artisans d’aujourd’hui. Mais, autour de notre ouvrage quotidien, ce ne sont pas seulement quelques grandes figures d’inventeurs qu’il nous faut nous représenter ; c’est la foule anonyme de ceux qui ont préparé, parachevé ou propagé leur invention même ; ce sont les courants d’idées, ce sont les vagues de civilisation qui les ont portés. Il faut nous souvenir en un mot que les appareils que nous manions, legs des efforts accumulés et entremêlés d’inconnus innombrables, sont bien des œuvres collectives ; à chaque fois que nous les utilisons pour façonner quelque œuvre nouvelle, c’est toute une société qui collabore avec nous.

Au surplus, et indépendamment de cet outillage social, chaque jour plus compliqué, par l’intermédiaire duquel nous agissons sur le milieu naturel, faut-il rappeler que partout où il y a efforts associés, tâches spécialisées, coopération complexe, l’objet produit en commun dépasse ce qu’aurait donné une addition pure et simple d’objets produits à part ? Tous ceux qui ont analysé les effets de l’organisation du travail l’ont remarqué : la mise en commun des forces individuelles engendre une force totale plus grande que leur somme. Quelles qu’en soient les raisons diverses, — économies de temps et d’espace, entraînement et adaptation réciproque des efforts, — la combinaison des travaux augmente leur efficacité. « En agissant conjointement avec d’autres dans un but commun et d’après un plan concerté, le travailleur, dit

  1. M. Fouillée.