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« conditions extérieures de la lutte ». Annulons tous ces handicaps qui faussent les résultats de la course. Ce qui ne veut pas dire, certes, que pour égaliser les conditions du concours, il faut que les hommes concourent désormais nus et livrés à leurs seules ressources naturelles. Ce serait laisser perdre, de gaieté de cœur, les capitaux de toutes sortes accumulés par des siècles de civilisation. Mais il importe que chacun soit assuré d’une participation minima à ces trésors collectifs, qui lui permette la mise en valeur de ses puissances individuelles. Ainsi seulement, sans rien abandonner des conquêtes de l’humanité, utilisera-ton pleinement tous les dons de la nature.

Par où l’on comprend les protestations de la démocratie, lorsqu’on l’accuse de contrarier l’évolution : elle prétend travailler au contraire à garantir le libre jeu des mêmes tendances qui ont entraîné le progrès des espèces. Elle est bien loin de supprimer la concurrence, s’il est vrai que ses efforts « tendent à assurer à tous les membres de la société, sans exception, le droit de prendre part à la lutte pour la vie avec des moyens égaux[1] ». De même, s’il est vrai qu’en égalisant les conditions du concours, elle ne nie pas les supériorités, mais s’efforce seulement de substituer les supériorités réelles aux supériorités fictives, elle est bien loin d’entraver la sélection. En réorganisant la répartition pour que chacun soit rémunéré et classé suivant ses œuvres, pour que le produit intégral de son travail revienne au travailleur, pour que le maximum d’avantages soit réservé aux unités sociales les plus utiles, en essayant en un mot de contre-balancer le poids des injustices de l’histoire, c’est elle qui cherche à réaliser dans les sociétés cette justice naturelle dont parlait Spencer, seule respectueuse, en même temps que des droits individuels, de l’intérêt collectif.

  1. V. Kidd, L’Évol. soc., p. 140.