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Si tel est bien l’esprit des critiques adressées au laisser-faire actuel, on commence à mieux comprendre à quoi tend, lorsqu’elle réclame le droit d’intervenir dans l’ordre économique, la volonté de la démocratie. On lui reprochait de méconnaître les nécessités de la production et les données de la nature, d’oublier et les besoins toujours croissants des hommes, et leur paresse toujours menaçante, et surtout leur éternelle inégalité. Elle peut répondre qu’en rectifiant l’organisation actuelle de la concurrence, elle se propose précisément de régler la production pour la mettre à la hauteur des besoins de tous, de proportionner les rétributions aux activités de manière à stimuler tous les efforts, d’accorder enfin aussi exactement qu’il est possible les fonctions et les situations aux talents naturels. En quoi faisant, elle ne nie nullement ce qui subsiste de l’état de nature dans toute civilisation, à savoir que les hommes naissent et demeurent inégaux et rivaux. Il y a du vrai dans le paradoxe de Grant Allen[1] : « Tous les hommes naissent libres et inégaux. Le but du socialisme est de maintenir cette inégalité naturelle et d’en tirer le meilleur parti possible. » Et en effet nous ne proclamons pas, dira-t-on, l’égalité des facultés, ce qui serait contraire aux faits naturels ; nous ne demandons même pas l’égalité des résultats, puisqu’elle risquerait d’engourdir l’activité de beaucoup ; l’égalité que nous réclamons est celle des moyens d’action, destinée à permettre l’entier déploiement des facultés diverses. C’est sur ce point que tombent d’accord tous ceux qui opposent, aux conséquences du libéralisme économique absolu, l’idéal de la démocratie[2] : nous voulons plus d’égalité « au point de départ » dans les « possibilités », dans les

  1. Cité par Vandervelde, Collectivisme, p. 235. Cf. Ferri, Socialisme, p. 25 sqq.
  2. V. H. Michel, Doctr. pol., p. 48. Durkheim, Div. du trav., Liv. III, chap. II. Wallace, Studies, II, p. 515, 524. Cf. Volksdienst, passim.