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pulsions naturelles ont été mises à la raison. La loi a exercé sa critique et son contrôle sur les conditions de la lutte : elle en a réglementé les procédés. C’est grâce à cette réglementation que les activités proprement économiques ont pu prendre le pas, dans nos sociétés, sur les activités guerrières. Que la collectivité organisée intervienne ainsi, par tout un système de prohibitions et de protections, dans les rapports entre individus, personne ne le nie, dira-t-on, et personne ne conteste la nécessité de cette intervention. Mais ce que nous prétendons, c’est que cette intervention a trouvé aujourd’hui sa limite. Elle ne peut aller plus loin sans se heurter en effet au roc des nécessités naturelles. Pour maintenir les libertés égales, que l’État fasse la police, à la bonne heure : mais qu’il ne s’avise pas de faire peser sa force sur la vie économique. Qu’il se borne à assurer la jouissance des propriétés, la liberté des échanges, le respect des contrats. Mais si par malheur, sous prétexte de réaliser une justice plus humaine, il se mêlait de juger les conventions mêmes, de tarifier les salaires, de changer jusqu’aux modes de la propriété, alors tout serait perdu. Pour vouloir trop adoucir les frottements, on risquerait de briser le grand ressort de tout progrès.

Et en effet, à quelque merveilleuses transformations que la civilisation soumette les choses et les âmes, il y a des règles de fer auxquelles son mouvement est obligé de se conformer. La même disproportion entre la quantité illimitée des besoins à satisfaire et la quantité limitée des moyens de satisfaction qui pousse les animaux les uns contre les autres continue de faire sentir sa pression aux hommes. Leurs moyens se raffinent, il est vrai, et se compliquent à l’infini. Mais du même élan leurs besoins se compliquent et se raffinent. Et comme, en même temps qu’ils deviennent plus exigeants, les membres des sociétés civilisées ne cessent de devenir plus nombreux, il s’ensuit que c’est pour elles une