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contra omnes. C’est à quoi, suivant eux, sert l’institution du Droit, qui classe les procédés que les associés ne sauraient plus, sans s’exposer à des sanctions déterminées, employer à l’égard les uns des autres. Et sans doute ces théoriciens se sont trompés sur l’origine du droit ; il ne résulte pas d’un contrat ; il se forme peu à peu et s’élargit ou se précise sous la pression des croyances et des habitudes communes[1]. Mais quelle que soit son origine, sa fonction est bien de réduire le champ de la guerre et de constituer comme un enclos de sécurité. En ce sens et s’il est vrai que le combat sans frein et sans merci soit la loi inéluctable de la nature, il faudrait avouer, avec Huxley, que les lois sociales sont précisément faites pour contrarier les lois naturelles[2].

Ce n’est pas à dire sans doute qu’elles éliminent les luttes du monde humain. L’idée même du droit, on l’a justement remarqué[3], implique un conflit de prétentions. Mais elle signifie en même temps que les prétentions du faible vaudront au besoin celles du fort, la discussion devant être substituée à l’agression, et la comparaison des titres au choc des forces. Elle avertit en conséquence que les adversaires associés ne doivent plus chercher à triompher les uns des autres par n’importe quels moyens. Elle annonce l’intervention d’un pouvoir social, prêt à prescrire certaines conditions aux conflits, à proscrire même certaines de leurs formes ou à limiter certaines de leurs conséquences. Partout en un mot où un droit est établi, certains modes d’action sont interdits d’un commun accord aux membres de la société, comme incompatibles avec l’existence même du lien social.

L’étendue de ces interdictions est d’ailleurs extrêmement

  1. V. Richard, L’Idée du droit. Passim.
  2. Evol. a. Ethics, p. 31.
  3. Richard, op. cit., p. 160, 10.