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ments. Quel que soit le mécanisme obscur qui l’explique, c’est une règle, semble-t-il, que la multiplication des tendances et des efforts, — la surexcitation du système nerveux, — seconde l’expansion de l’intelligence. Ce n’est pas seulement la capacité d’adapter les moyens aux fins, c’est la capacité de comparer entre elles et de hiérarchiser les fins elles-mêmes qui se développe au sein des complications de l’existence. C’est là où elles sont portées au maximum que se rassemblent les populations, non seulement les mieux défendues contre la nature, mais encore les plus éveillées a la vie de l’esprit.

Au surplus, la civilisation nous réserve peut-être, pour la surexcitation qu’elle impose aux activités individuelles, une compensation plus précieuse encore : nous savons qu’elle est capable, en même temps qu’elle stimule les activités, de les soumettre à des règles communes ; elle s’en servira pour atténuer méthodiquement les coups que les individus se portent les uns aux autres dans leur effort vers une vie meilleure. Que de moins en moins cet effort soit tourné directement contre « le prochain », que de plus en plus, à la lutte à mort, aux formes cruelles et sournoises, brutales ou déloyales de la compétition, on en substitue qui développent moins de haine et entraînent moins de souffrances, que tout en assurant au fort les avantages nécessaires on tâche d’éviter même au faible les dommages inutiles, que tout en conservant son aiguillon à la lutte on lui enlève son venin, c’est là un programme que les sociétés peuvent réaliser peu à peu en inclinant l’ambition devant l’opinion, et en donnant au besoin, contre les vœux particuliers aux individus, force de loi à leurs vœux collectifs.

Quelle est en effet la première tâche sociale ? le maintien d’un régime de paix entre un certain nombre d’individus. Les grands théoriciens de la politique ont exprimé cette vérité chacun à leur façon : toute société implique une volonté d’arrêter, à l’intérieur d’un cercle défini, le bellum omnium