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ration de la sélection, et maintenir, en les surélevant, des spécimens que la nature aurait indubitablement jetés au rebut.

En résumé, le stock d’armes de toutes sortes que l’humanité accumule et où elle puise pour les différentes espèces de luttes qu’elle doit soutenir, est capable de fausser doublement les résultats bienfaisants qu’on attend de ces luttes elles-mêmes. En tant qu’il est utilisé par tous les membres de la société, il contribue à retarder l’élimination de la majorité même déshéritée des faibles. Bien plus, en tant qu’il est approprié par certaines classes, il tend à assurer, à une minorité privilégiée de faibles, des facilités de survie toutes spéciales. C’en est assez pour conclure que sur ce point déjà, et par la seule interposition des moyens d’action propres à l’humanité, l’opération naturelle de la lutte pour la vie est quasi fatalement déviée : et qu’il est vain par suite de lui prêter, dans notre monde social, les mêmes vertus qu’on lui reconnaît dans le monde animal.

III

Si telle est, sur les conditions de la lutte, l’influence des instruments dont l’homme dispose, quelle peut être celle des fins qu’il se propose ? En admettant que ses moyens d’action limitent et troublent les effets du combat, n’allons-nous pas constater que ses mobiles d’action en décuplent fatalement l’ardeur ?

Les hommes, avons-nous dit, ne luttent pas seulement pour la vie, mais pour tout ce qui fait à leurs yeux le prix de la vie. Plus ils se civilisent, et plus s’élève le « minimum » qui leur paraît conforme à la nature, car plus aussi leurs besoins se compliquent et se raffinent. C’est dire qu’il n’y a pas de limite à leur ambition. Ils sont des animaux foncièrement