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parasitisme. Quand un organisme vit en parasite d’un autre, c’est le plus faible qui triomphe, sans qu’il y ait amélioration ni d’une espèce ni de l’autre. Tout de même, suivant M. Loria[1], là où les possédants vivent aux dépens des non possédants, ils ne progressent pas, ils n’acquièrent pas de forces, ils en perdent au contraire dans l’inaction, tandis que ceux qui les nourrissent en perdent par le surmenage. Quand des classes luttent dans ces conditions, il y a peu de chances pour que les supériorités individuelles, où qu’elles se trouvent, se dégagent, se développent et se propagent, tandis que les infériorités individuelles, où qu’elles se trouvent, s’élimineraient, comme il le faudrait pour le bien de l’espèce. L’excès de l’inégalité économique empêche les inégalités naturelles de se mesurer utilement. Et il semble que tout le résultat d’une distribution aussi disproportionnée des moyens de lutte soit de hâter la dégénérescence par les deux bouts, et aussi bien au haut qu’au bas de l’échelle sociale. Bien loin d’entraîner mécaniquement le progrès, comme dans la nature livrée à elle-même, une lutte ainsi poursuivie ne saurait entraîner, et aussi mécaniquement, que la décadence.

Pessimisme excessif sans doute. Il faut du moins, pour que la lutte pour la vie dans l’humanité produise précisément l’inverse de ce qu’elle produit dans la nature, une sorte de cristallisation des privilèges qui doit se réaliser rarement. Mais il n’importe : un optimisme encore plus paradoxal pourrait seul prétendre que les facultés sociales se trouvent toujours distribuées proportionnellement aux facultés naturelles des individus. Le seul fait de l’accumulation héréditaire des biens rend les disproportions probables. Or, partout où elles se rencontrent, on comprend comment le mécanisme de la civilisation peut, non plus seulement limiter, atténuer ou retarder, mais systématiquement troubler l’opé-

  1. Probl. soc., p. 123 sqq.